Thursday, 2 February 2012

De la détérioration à la formation du corpus centurique

4 De la détérioration à la formation du corpus centurique
Nous observons que ce qui nous apparait comme les étapes d’une formation est perçu par d’autres comme le signe d’une détérioration, d’une déperdition. Comment deux processus aussi différents peuvent-ils se confondre ? Est-ce que sous la Ligue, nous assistons à un démembrement d’un corpus constitué dans les années 1550-1560 ou au contraire à la formation du dit corpus, dont les données relatives aux dites années seraient contrefaites ? Il est vrai qu’il existe quelque ressemblance entre un phénomène qui se déploie, souvent par à coups, par bonds successifs et un autre qui serait en pleine déliquescence, tel un édifice tombant en ruines.
Il est certes recommandé de comparer un maximum de documents entre eux pour les ordonner de façon rationnelle mais il n’est pas interdit de signaler des manques, des corruptions et d’en tirer certaines conclusions, cela peut jouer un rôle complémentaire dès lors que l’on sait que le passé ne nous parvient jamais que par bribes, la carte n’étant pas le territoire, comme on dit en sémantique générale. Au XVIIe siècle, le dominicain Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement13 de 1656, expose une méthodologie qui passe par ce qu’on peut appeler la critique interne, étant donné qu’il ne disposait que d’une documentation extrêmement limitée, par comparaison avec celle dont nous disposons de nos jours. C’est ainsi que le dominicain avait proposé, entre autres, de corriger estang par estaing, au quatrain I, 16, donc un des premiers quatrains d’une longue série car il est clair qu’il est fait référence ici à Jupiter, dont c’est le métal, au sein d’un quatrain marqué par les données astronomiques , empruntées au Livre de l’Estat et Mutations des temps de Richard Roussat, Lyon, 1550: Or, cette « faute » s’est maintenue des siècles durant. Peut-on supposer que la première édition de la première centurie comportait bien « estaing » ou doit-on concevoir que l’erreur aurait été commise dès la première impression ? Mais cela n’expliquerait pas pourquoi il n’y a pas eu correction, par la suite.
Parmi les corrections qui semblent être intervenues, comptons, en tout cas, celles qui concernent le titre du premier volet centurique « dont il en y a trois cens » (Raphael Du Petit Val, Rouen, 1589, François de St Jaure, Anvers, 1590, Antoine du Rosne, Lyon 1557) corrigé en « dont il y en a trois cens (« éditions parisiennes 1588-1589, -Benoist Rigaud 1568, Cahors 1590). Le cas des éditions parisiennes est assez paradoxal : elles ont un contenu très « primitif », antérieur à la formation de la centurie VII, canonique mais par leur titre, elles apparaissent comme des éditions à sept centuries, avec 39 quatrains à la VII, ce qui les place après Anvers 1590, avec la suppression, en outre du « il en y a » qui affecte jusqu’aux éditions antidatées 1557.
Un autre cas, assez bien connu, est celui de l’avertissement latin, placé entre la Vie et la VIIe centurie. P. Brind’amour (Nostradamus astrophile) a montré que Legis Cantio devait être au départ Legis Cautio. Les éditions Rigaud ont « Cantio » tout comme le troyen Chevillot ou Antoine du Rosne 1557 Utrecht, alors que Pierre Du Ruau, autre libraire troyen a bien Cautio, tout comme Besson (c 1691) ou Garancières (1672). Cela peut servir de critère de datation. On notera en tout cas que les éditions du XVIIe siècle ont souvent « Cautio ». Il semblerait que les éditions Rigaud ou Du Rosne Utrecht aient été réalisées à partir de Chevillot lequel n’avait pas comme Du Ruau procédé à diverses corrections critiques.
Quand il y a une série de noms de lieux, on peut corriger un lieu qui ne correspond pas, alors que tous les autres constituent un ensemble géographiquement homogène. On pense à IX 86, où l’on trouve Chartres au milieu de villes de la banlieue parisienne. Or, il existe une petite ville nommée Chastres et qui correspondrait mieux. Cette approche est validée par la Guide des Chemins de France qui a servi aux rédacteurs du second volet de centuries. A la centurie VIII, le quatrain 52 comporte plusieurs villes proches de la Loire comme Blois, Amboise, Poitiers, Saintes ainsi qu’un fleuve, l’Indre. Mais on peut corriger un verset tronqué qui comporte « Boni », pour Bonny sur Loire. La présence d’Avignon, dans ce quatrain est insolite. 14, elle ne justifierait donc pas Bonnieux, près d’Avignon. En revanche, «Seme » pourrait être une corruption de Saumur, Ongle d’Orléans. Dans IX, 86 et VIII 52, les décalages sont vraisemblablement dus à des retouches qui ont pu sembler indécelables, faute d’observer que tout le quatrain est centré sur une certaine aire géographique de par la structure même de sa source ainsi constituée.
Sur un plan technique, il semble qu’il soit légitime de corriger dans I, 54 un chiffre dont l’écriture est proche deux et dix : :
Deux revolts faictz du malin falcigere
De régne & siecles faict permutation
D’aucuns ont remarqué qu’il faudrait mettre Dix à la place de Deux, car il existe un cycle bien connu formé par dix révolutions de Saturne(le porteur de faux, le falcigere) ; en astrologie médiévale.
Si l’on passe aux épîtres en prose, une lecture attentive est susceptible de relever des lacunes dans le texte, sans lesquelles le texte devient à peu près incompréhensible. Quand on lit, par exemple, « que tu ne sois venu », ne fait pas sens si l’on n’ajoute « que tardivement ». ou « il n’est possible te laisser par escrit » alors que précisément il est question d’un « mémoire », si l’on ne précise « pat trop clair ». Et c’est précisément ce à quoi correspond l’édition Besson (c 1691). Ou dans l’Epitre à Henri II « qu’il n’estoit nullement permis d’aller à eux ny moins s’en approcher’ où il manque « sans quelque offrande » (en l’occurrence, « sans mains garnies de riches offrandes » (Besson c. 191). Des formules restrictives (ne…que, nullement… si ce n’est, etc) deviennent ainsi à tort des formule négatives.
Jean Céard, dans sa préface au Répertoire Chronologique Nostradamus, préconise une « étude littéraire des Centuries »-(p. VIII), notamment au regard de la versification, des vers faux. Les coquilles doivent être repérées et corrigées. « Ainsi va son chemin un texte de plus en plus défiguré ». Céard prend le cas du quatrain II 47 :
Les souverains par infinis subjuguez
« ce qui fait un vers faux. Ne peut-on lire
Les souverains par infims subjuguez ?
« Ce latinisme (infimi, les plus humbles, les plus petits ) aura été mal lu par le typographe qui lui a substitué le plus commun (infinis). (ce qui a ) fait commettre à Nostradamus une grossière erreur de versification et détruit une opposition très nette entre souverains et infims »
Mais, hâtons-nous d’ajouter qu’il en faut en tirer les implications au niveau de la datation et de la chronologie des éditions. Mais l’abord des textes en prose reste prioritaire – on y a en principe plus « pied » - par rapport à celui des quatrains d’autant que comme nous l’avons dit ailleurs, les quatrains dérivent largement des textes en prose introductifs. Le quatrain à l’origine a-t-il d’ailleurs vocation à faire sens, dès lors qu’il déconstruit délibérément le texte en prose ? Ce n’est que dans un deuxième temps que le quatrain nostradamique devient l’élément de référence, accédant au statut de principal porteur du message, l’arbre du quatrain cachant la forêt de l’épître. Travailler sur un quatrain isolé, détaché du reste des quatrains d’une même centurie est tâche plus aisée encore. On assiste à un démembrement de l’édifice nostradamique, chaque pierre du « mur » devenant un tout de façon fractale.
Prenons cependant le quatrain X, 91, un des derniers donc de l’ensemble de dix centuries :
Clergé Romain l’an mil six cens & neuf
Au chef de l’an feras election
D’un gris & noir de la Compagnie yssu
Qui onc ne feut si maling
En parcourant récemment, en vue de ce texte, toute la série des quatrains, nous nous sommes arrêtés sur un quatrain atypique en rapport avec le pape, lequel quatrain semblait ne pas respecter la rime. A partir de là, nous avons comparé diverses éditions et avons trouvé la solution en l’une d’entre elles, où le quatrième vers, comportait un mot de plus, à savoir « compagnon », ce qui fait pendant à « Compagnie » au troisième verset. Or, quelle était cette édition ? Comme par hasard, l’édition d’Antoine Besson. La lacune figurant partout ailleurs, que ce soit chez Garencières, Rigaud, Du Ruau, Chevillot. On peut en tout cas considérer que Besson correspond à un nouveau stade de l’édition centurique, prenant la suite du stade troyen, par son recours à des sources restées largement occultées. Toutefois, cette édition n’exercera guère d’influence sur le cours de la production centurique qui en reviendra, au xVIIIE siècle, à des éditions de type Rigaud-Chevillot.
Jusqu’à quel point peut-on se permettre de corriger un texte, sans l’appui d’une version existante ? Il est des cas où la correction est légitime : ainsi pour un nom de lieu écorché, dès lors que le contexte impose cette solution, quand il s’agit d’une série dont les facteurs se suivent normalement selon un ordre immuable15.
Nous avons déjà noté à quel point les éditions de Londres-Garencières et Besson se détachaient du lot. Elles ont un point commun qui n’est probablement qu’anecdotique : il s’agit du chevalier Jacques de Jant (1626-1676), intendant et garde du Cabinet des raretés de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. En effet, au moment où Théophile de Garencières publie sa traduction, à partir de documents jamais parus en français, autant qu’on le sache, Jant se faisait connaitre, en cette même année 1672 par des Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus (cf RCN, pp. 247 et seq). Or, les textes de Jant reparaitront après sa mort survenue en 1676, à Rouen, en 168916 (puis en 1691 et 1710 (cf RCN, p. 291) chez Jean Baptiste Besongne dans le cadre de Vrayes Centuries et Prophéties (…) Avec la vie de l’autheur et plusieurs de ses Centuries expliquées par un Scavant de ce temps (cf RCN, p. 261), ce qui est le même titre que l’édition Besson, non datée. En fait, Besson, se sert du cadre et du titre rouennais mais y apporte des modifications considérables, introduisant d’autres versions des épîtres ainsi que des corrections concernant certains quatrains comme IX 91. Etant donné que cette présentation rouennaise augmentée d’un commentaire datant des années 1670, date de 1689, cela constitue un terminus pour l’édition lyonnaise. Sous couvert des éditions rouennaises, Besson introduit subrepticement de nouveaux éléments. Il revient à Robert Benazra d’avoir signalé- certaines particularités de cette édition : « Lettre modifiée et tronquée » pour la préface à César et « Lettre considérablement réduite » pour l’épître à Henri II (p. 266)
Tout le débat est là : les nostradamologues des trente dernières années n’ont –ils pas quelque peu abusé de cette thèse selon laquelle les éditions non conformes au canon seraient ipso facto étiquetées comme « tronquées », « lacunaires », avec des quatrains « manquants » ? Chez Benazra, c’est devenu comme un leit motiv, notamment en ce qui concerne les éditions des années 1588-1590 qui ont le grand tort de ne pas correspondre à l’édition Benoist Rigaud de référence. C’est ainsi que Benazra juge que dans l’édition de Rouen 1588, certains quatrains de la Ive centurie auraient en quelque sorte « sauté » puisque l’on n’arrive pas à 53 quatrains. De même pour l’édition d’Anvers dont la centurie VII ne « fait » pas ses 40 quatrains réglementaires (RCN, pp. 122-127). Au lieu de voir se construire, progressivement un corpus, d’aucuns ne veulent parler que d’une détérioration, ce qui s’explique par le fait, selon nous, que les éditions les plus achevées auront servi de modèle pour les éditions antidatées. Une seule exception, toutefois, celui des éditions centuriques antidatées, se présentant comme parues en 1560/1561 (type Veuve N. Buffet, exemplaire actuellement conservé à la librairie Thomas Scheler), qui sont conformes aux éditions ligueuses parisiennes.(cf. RCN, pp. 51 et seq).. R Benazra écrit à ce sujet : « si cette édition a réellement vu le jour, il apparait que l’éditeur parisien (c’est une femme, Barbe Regnault) n’a point connu l’édition lyonnaise d’Antoine du Rosne(1557) puisque les copies de 1588 et 1589 ne nous donnent que 74 quatrains à la Vie centurie. De là à penser qu’il n’a point connu l’édition lyonnaise de 1558 avec la préface à Henri II - que les copies (sic) de 1588 et & 1589 ne reproduisent pas –il n’y a qu’un pas que nous sommes tenus de franchir ». Benazra s’explique par ailleurs (cf RCN, pp. 35 et seq).sur l’existence de la dite Préface dont les éditions ligueuses n’auraient pas tenu compte : « Il n’aurait servi à rien que Nostradamus écrivît une préface adressée à un certain « Henri Second », s’il ne la faisait pas publier avant la mort en juillet 1559 du souverain (…) Et il n’est guère probable qu’un imprimeur aurait osé éditer après le décès du roi (..) un livre qui s’ouvre sur une longue dédicace adressée au Roi » .
Nous observons donc que d’une part, nous trouvons des épîtres qui visiblement sont lacunaires ainsi que quelques quatrains qui ont perdu quelque mot en cours de route –ce qui ne semble pas préoccuper outre mesure les nostradamistes - et de l’autre, on nous parle d’éditions dramatiquement lacunaires, qui auraient été délestées de nombre de quatrains voire de centuries entières.
Mais il convient de signaler aussi la corruption de la Vie de Nostradamus, ce qui ressort, une fois de plus, de la lecture de la « traduction » anglaise et cela affecte également le Janus Gallicus dont le « Brief Discours » nous apparait dès lors comme défectueux, ce qui souligne le caractère de « recueil » du dit Janus avec une transmission pas trop regardante quant au contenu. Au cas de figure de l’interpolation vient faire pendant une « extrapolation » au sens d’un passage qui disparait. Cela d’ailleurs avait été remarqué pour l’épitaphe si on la compare au document authentique tel qu’il figure gravé sur la pierre à Salon de Provence. Mais abordons, dans le texte anglais, le récit même de la biographie de Nostradamus, tel que rendu dans la Vie. On nous parle de la venue à la Cour de Nostradamus. Mais le texte est confus puisque cohabitent les années 1556 et 1555 comme si l’on avait mis bout à bout deux versions : « And Henry the II King of France, who sent for him in the year 1556 (…) He went from Salon to the Court the 14th of July in the year 1555 and came to Paris upon the 15th of August”
Que nous dit le texte français tel qu’il sera véhiculé tout au long du xVIIe siècle et déjà dans le Janus Gallicus:” “Henry UU Roy de France l’envoya quérir pour venir en Cour l’an de grace 1556 & ayant avec iceluy communiqué de choses grandes le renvoya avec présens. Quelques ans après (sic) Charles IX son fils visitant ses provinces (que fut 1564) (..) ne voulut faillir de visiter ce Prophéte »
Joli raccourci d’une dizaine d’années qui certes évite le doublon 1556/1555. Le texte anglais nous restitue le passage manquant et que nous résumerons ici : il y est notamment question de la venue, par la suite, de Nostradamus à Blois pour y observer les princes. Il retourna ensuite à Salon où il mit la dernière main à ses dernières Centuries. (last centuries) qu’il dédia à Henri II en 1557, « two years later » (deux ans après le voyage de 1555). Visiblement, l’on veut nous faire croire que c’est cette épitre qui figure en tête des Centuries. A Salon, Nostradamus reçut successivement la visite du Duc de Savoie(en octobre) et de Marguerite de France (en décembre), dont le mariage avait été décidé au Traité du Cateau Cambrésis. Et l’on passe à Charles IX, dont le voyage de 1564 figure dans toutes les versions. On notera que Crespin Archidamus se présente comme l’astrologue du Roi de France et de la duchesse de Savoie.
Il est assez étrange que la partie ainsi supprimée concerne la composition des Centuries. Mais le texte anglais est également assez confus à ce propos ; on nous dit que ce sont ses almanachs qui firent sa réputation et le firent venir à la Cour et il est même signalé les attaques du « Lord Pavillon » – le Seigneur du Pavillon (alias Couillard)- il semble qu’il s’agisse des Contreditz.- mais aussi celles de Jodelle. Et on nous parle ensuite de ses Centuries qu’il va compléter alors que l’on ne nous avait pas signalé leur existence précédemment.
Quant à la fin de la Vie, narrée dans le texte anglais, cela diffère sensiblement du texte du Janus Gallicus, fort pauvre sur le plan bibliographique, sans que l’on puisse déterminer s’il ne s’agirait pas cette fois d’un ajout de Théophile de Garencières. On y trouve en tout cas des données bibliographiques supplémentaires, sensiblement plus précises d’ailleurs que celles qui précédaient et qui ne donnaient pas les noms des libraires. :
  • “A Book of recepts for the preservation of health, “printed at Poitiers in the year 1556”
  • Another concerning the means of beautifying the Face and the Body , Anvers, Plantin, 1557; dédié à son frère Jean, “attorney at the Parliament of Aix”
  • Une traduction du latin au français de la Paraphrase de Galien sur l’Exortation de Ménédote, Lyon, Antoine du Rosne, 1557
  • Inversement, dans le texte français, il est question de César qui n’est pas mentionné dans le texte anglais et pas davantage de l’épitre qui lui aurait été adressée par son père. Chavigny semble avoir rajouté tout un programme de publications à venir. Concernant cette « Vie », Besson nous est d’aucun secours, ce qui montre bien qu’il n’a pas lu l’édition anglaise de 1672. Quand parut un tel texte tel que restitué par Garencières aussi tard que 1672 ? Très vraisemblablement avant son occurrence dans le Janus Gallicus. (1594). On peut le situer dans les années 1590, puisqu’il parle de l’Epitre à Henri II et des « dernières Centuries ».
  • Les lacunes biographiques seront comblées au début du XVIIIe siècle.(cf R. Benazra, Abrégé de la vie et de l’Histoire de Michel Nostradamus, par Palamède Tronc du Coudoulet, Ed. Ramkat 2001) et le passage coupé dans le Janus Gallicus sera ainsi restitué mais ne modifiera pas pour autant l’appareil des éditions néo-centuriques. En revanche, outre Manche, la version anglaise sera diffusée à partir de 1672 sous une forme non expurgée. Paradoxalement, le texte français de la version anglaise de la Vie de Nostradamus ne nous est connu que par une édition datant du tout début du XVIIIe siècle- Aix, Adibert, 1701, Abrégé de la Vie de Michel Nostradamus (cf RCN, pp. 282 et seq)- tout comme le texte de l’épitre à César ne nous est connu, pour sa partie la plus ancienne, que par une édition de la fin du XVIIe siècle (cf R. Benazra, Abrégé de la vie etc, pp. 37 et seq). En fait, cette impression de 1701 est très lacunaire par rapport à la version de 1672 mais pas de la même façon que le « Brief Discours » dans le Janus de 1594. L’ordre de certains paragraphes est permuté. C’est ainsi que l’on connait ainsi la date de la visite du Duc de Savoie et de Marguerite de France : Le texte anglais nous donnait les mois mais point l’année, 1553, donc avant et non après l’invitation à la Cour, comme indiqué dans la Vie... En revanche, le manuscrit jamais imprimé de la Bibliothèque Méjanes, à Aix en Provence que transcrit Benazra est plus ample et plus précis que la version anglaise si ce n’est sur certains points comme la parution chez Antoine du Rosne de la Paraphrase de Galien, point qui n’est pas indiqué. Mais dans le manuscrit, il est indiqué en tête de la série de ses œuvres « Outre les centuries de Nostradamus on a de lui etc. », ce qui ne figure pas dans la version anglaise mais comme l’on ne cite pas les almanachs, on peut se demander à quoi renvoie ici le mot « centuries ». . Le commentaire de certains quatrains resta donc inédit comme cela avait été le cas pour Giffré de Réchac dont le commentaire (Eclaircissement, 1656) est pour l’essentiel resté manuscrit (cf notre post doctorat) En bref, la Vie de Nostradamus comporte diverses versions comme pour les épitres centuriques.
  • Si les nostradamologues sont disposés à admettre que des quatrains voire des centuries ont pu être ajoutées, ce qui ressort notamment de la chronologie ordinaire et consensuelle à trois étages : 4 centuries en 1555, 7 centuries en 1557, 10 centuries en 1568, fondée, articulée sur les éditions conservées,- en revanche, il semble que l’idée d’épîtres augmentées, interpolées, leur apparaisse comme une incongruité. En revanche, ils sont toujours prêts à admettre que pour quelque raison, on aurait pu tronquer des textes, supprimer des quatrains. Ce n’est en effet pas, on s’en doute, la même démarche.
Ce qui vient évidemment compliquer les choses et les perspectives, c’est le fait que ce que l’on peut appeler le « système centurique » a mis en place toute une série de défenses qui conduisent à un certain renversement de la chronologie, ce qui est à la fin d’un processus étant alors censé se placer en son début. Si d’une part, ce système peut être perturbé par la multiplicité des documents exhumés, à différents moments, il a su, d’autre part, fabriquer ses propres documents antidatés. D’où un accueil qui diffère selon que l’on découvre un des dits documents antidatés, comme les exemplaires Macé Bonhomme, Antoine du Rosne, mais aussi les Prophéties de Couillard, les Significations de l’éclipse de 1559, l’Androgyn de 1570, le Recueil des présages prosaïques voire des Prophéties d’Antoine Crespin, truffées d’extraits de quatrains, qui sont autant de « garants » des Centuries, ou, a contrario, que l’on signale des éditions comme celle d’Antoine Besson ou les particularités de la traduction anglaise de 1672 voire les éditions ligueuses (Paris, Rouen, Anvers) qui, somme toute, sont bien embarrassantes et dont on cherche souvent à minimiser l’importance. Quant à la recherche des sources, il n’est pas certain que les liens entre les quatrains et la Guide des Chemins de France aient été si bien accueillies que cela pas plus d’ailleurs que la mise en évidence d’emprunts à Roussat et à son Livre de l’Estat et Mutation du Ciel, tant pour telle épître que pour tel quatrain. Signalons le sous titre de cet ouvrage : « prouvant par authoritez de l’Escriture Saincte & par raisons astrologales la fin du Monde estre prochaine », ce qui correspond à un dosage qui correspond assez bien à celui que l’on préte à Nostradamus au vu de ses épitres centuriques.
Pour employer une image appartenant au langage de la finance, le système centurique a mis en place un processus de cavalerie en ce sens que les garants qu’il signale pour valider les éditions antidatées ont été générés par le dit système et qu’inversement les garants eux –mêmes sont « couverts » par les dites éditions. Robert Benazra a rédigé un texte intitulé : « Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus etc » (site ramkat.free.fr). Il écrit ; « Il y a, en effet, une toute petite phrase dans les Prophéties de Couillard que personne n'avait relevé jusqu'à présent et qui va apporter une éclatante confirmation de ce que nous avons toujours pensé. Lorsque le Seigneur du Pavillon lez Lorriz écrit à propos de l'auteur dont il paraphrase le texte (celui de César), qu'il a "avec labeur merveilleux faict trois ou quatre cens carmes de diverses ténébrositez" (fol. E2v), il ne fait nul doute que nous avons là une allusion très claire aux quatrains qui suivent la Préface à César, ces "fantasticques compositions" (fol. A4v et D3v), "dictions tenebreuses & ... fabuleuses" (fol. E2v) ou encore ces "carmes tenebreux et obscurs" (fol. B1r) , pour employer des expressions du Seigneur du Pavillon. ». Pourquoi pas puisque telle est, précisément, la raison d’être de ces Prophéties du Seigneur du Pavillon que de valider celles de Nostradamus ?
13 Voir notre post doctorat, sur propheties.it
14 Voir P. Guinard, Nostradamus et l’éclat des empires, Ed BoD, p. 94
15 J. Halbronn « Le manuscrit latin 7321A (2-3) de la Bibliothèque Nationale de France (Paris) et les traductions françaises ptolémaïques et hippocratiques », in Bulletin de Philosophie Médiévale, 38, 1996, pp. 23-39
16 Voit fac simile sur site propheties.it

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