Tuesday 14 February 2012

Le revival nostradamique dans les années 1580

 

 

En 1653, paraissait un Dariotus Redivivus, traduction anglaise d’un traité d’astrologie paru en français et en latin, à Lyon dans les années 1550.38 On pourrait parler dans les années 1580, d’un Nostradamus redivivus. Cette notion de « revival » ne doit pas être confondue avec l’idée d’édition posthume et encore moins, on s’en doute, avec celle d’édition »du vivant » de l’auteur. Ce sont trois cas de figure bien distincts mais que l’on tend, chez la plupart des nostradamologues, à confondre. Une édition posthume est réalisée généralement au lendemain de la mort d’un auteur, elle n’implique pas que cet auteur ait été peu ou prou oublié. Mais toute édition, a priori, comporte des textes d’un auteur donné et donc rédigés sinon parus, par la force des choses, de son vivant. Une édition postérieure à la mort d’un auteur comportera donc des textes datés du temps où cet auteur était encore en vie. Ces prolégomènes peuvent sembler superfétatoires mais, dans le domaine qui nous occupe, il est toujours bon de préciser les choses.

Selon nous, au milieu des années 1580 fut orchestré un « retour » de Nostradamus, personnage qui avait été quelque peu oublié et qui avait connu un certain prestige dans les années 1550, sous Henri II. Rien n’était paru sous son nom depuis une vingtaine d’années, mais divers astrologues se revendiquaient de sa filiation, réelle ou intellectuelle. Mais un auteur qui a vécu il y a plusieurs décennies a une aura particulière, dans le champ prophétique. Une épître datée de 1555, adressée par Nostradamus à son fils César permettait de créer cet effet de perspective en ces années 1580. Mais allait-on ressortir des textes parus de son vivant ou à sa mort survenue en 1566 ? La plupart de tels textes étaient révolus, dédiés à des périodes qui n’étaient plus en prise sur l’époque. Il fallait donc à la fois faire revivre un auteur ancien tout en lui faisant tenir un discours qui ne « date » pas trop ou mieux qui soit intemporel. Le fait que l’intervalle de temps restait relativement modéré présentait un certain avantage : d’une part, on pouvait encore assez bien situer son temps et d’autre part, l’on était en mesure de produire des contrefaçons passables, en recyclant des matériaux encore disponibles notamment toutes sortes d’ouvrages parus dans les années 1550, permettant de recréer un contexte crédible, une reconstitution vraisemblable, en raison de tel ou tel détail apportant un semblant d’authenticité.

Le revival aurait certes pu en rester à la mise en circulation de textes posthumes mais jamais parus, retrouvés dans quelque bibliothèque- scénario classique que l’on retrouvera en plein milieu du XIXe siècle avec la Prophétie d’Orval.39 Mais nous verrons que le zèle de certains conduisit à exhumer de prétendues éditions d’époque qui n’étaient que des duplications, quelque peu patinées, de la production propre au dit revival. D’où cette confusion que nous évoquions plus haut entre les trois types de situations éditoriales.

Mais si l’on se situe au milieu des années 1580, à la mort du duc d’Alençon pour situer une date clef par rapport au déclenchement de la crise et de la guerre dynastiques, ce qui paraissait alors sous le nom de ce Nostradamus était totalement inédit sinon inouï.

Il nous apparait que ce revival s’effectua en plusieurs temps, même si cela se place sur une période assez brève : rappelons que tout au long des années 1570 l’on a vu apparaitre toutes sortes d’émules de Nostradamus, et Benoist Rigaud aura contribué à ce processus. Et puis revirement stratégique oblige, il est question d’en revenir à la source dans une sorte de surenchère. Et, en 1584-1585, Rigaud lui-même va publier un document qui n’était jamais paru, sous cette forme auparavant, à savoir la collection complète des quatrains des almanachs qu’il aura pu obtenir de Chevigny/Chavigny. Il juge bon, tant qu’à faire, de le dater de 1568, chez lui-même. Antoine du Verdier se hâte, dans sa Bibliothèque (Lyon Honorat, 1585), en concurrence avec celle de La Croix du Maine, de saluer cet événement dans un article sur Nostradamus et mentionne l’existence de «dix centuries de prédictions comprises briefvement par quatrains , Lyon, Benoist Rigaud, 1568 », se trompant sur le nombre, dix au lieu de douze (1555 à 1567, moins l’an 1556 année dont on ignore les quatrains si tant est qu’il y en eut. Précisons que ce n’est qu’à partir de l’almanach pour 1557 que les quatrains se situent dans l’almanach et non dans la pronostication comme pour 1555. On peut donc comprendre que la première expérience pour 1555 n’ait pas été poursuivie immédiatement. Ce n’est donc que dans un deuxième temps que l’on sera passé à publier des textes jamais parus, inédits, et considérés comme posthumes, tout en suivant le moule centurique mais en prenant cette fois le mot dans son acception étymologique : cent.. Par la suite, cette première supercherie assez bénigne consistant à laisser croire que Rigaud avait bien publié ces quatrains d’almanachs dès 1568 allait déboucher carrément sur la production plus insidieuse de « centuries prophétiques » chez le même libraire, comme indiqué au titre de l’édition non datée (attribuée à Du Ruau) et comportant une épitre à Henri IV datée de 1605.(cf RCN, p.p. 156 et seq). Nous proposons, dès lors, de parler d’un néo-centurisme pour désigner les nouveaux quatrains qui constitueront ce qu’on appelle « Centuries » et qui, structurellement et stylistiquement, auraient pour matrice le premier centurisme établi par Benoist Rigaud dans son édition, perdue, mais signalée par Du Verdier, des « centuries » de présages mensuels, chaque quatrain étant associé à un mois et à une année à la différence des quatrains néo-centuriques.

En vérité, nous n’avons pas conservé les premières éditions concernées par ce grand retour de Nostradamus. Si l’on laisse de côté les éditions antidatées, censées parues du vivant de Nostradamus ou peu après sa mort (entre 1555 et 1568), nous trouvons les premières éditions de ses « centuries » -puisque ce sont elles qui sont au cœur du revival nostradamique- portant la date de 1588. Mais plusieurs éléments nous conduisent à situer l’émergence du phénomène centurique – ou pré-centurique (cf infra) quelques années plus tôt. D’une part, le contenu des dites éditions 1588 et de l’autre l’émergence,certes tardive, dans la seconde partie du XVIIe siècle, tant en France qu’en Angleterre, d’éditions comportant des pièces qui pourraient bien correspondre à un état antérieur aux pièces figurant dans les éditions datées de 1588.

I Le contenu des éditions datées de 1588

Nous avons de cette année 1588, du moins si l’on s’en tient aux pages de titre- deux éditions très différentes, par leur titre d’une part, par leur contenu de l’autre.

Par leur titre d’abord puisque l’une, parue à Rouen, chez Raphaël du PetitVal, se présente comme divisée en 4 centuries et s’intitule Grandes et Merveilleuses Prédictions tandis que l’autre parue à Paris, chez la Veuve Nicolas Roffet s’intitule Prophéties et signale une addition de 39 articles (ou quatrains), correspondant à la centurie VII, additionnelle, à une précédente édition de 1557, qui serait donc à six centuries, effectuée en 1561.40 Toutes deux, cependant, sont introduites par la même Préface adressée par Nostradamus à son fils. Donc dès 1588, il aurait été question, à Paris, ville marquée par la Ligue, d’une édition effectuée du vivant de Nostradamus et dont la dite édition parisienne serait une réédition. Mais cela ne signifie pas que le contenu de ces éditions n’était point, quant à lui, à caractère posthume ou plutôt pseudo-posthume.

Le problème, c’est que le contenu de cette édition parisienne de 1588 ne correspond pas à son titre. On n’y trouve pas une annexe de 39 quatrains. Quant à la centurie VI, elle n’atteint que 83 quatrains, ce qu’on appelle dans cette édition centurie VII n’étant que la suite de la centurie VI, qui n’allait pas au-delà du 71e quatrain. De deux choses, l’une : ou bien le contenu de cette édition est antérieur à toutes les éditions comportant six centuries pleines et d’un seul tenant, outre qu’elle comporte une marque additionnelle après le 53e quatrain de la IV ou bien, comme le soutiennent encore une grande partie des nostradamologues, des quatrains se seront perdus en route. Pour notre part, nous nous en tenons à la première position.

Quant à l’édition rouennaise de 1588, elle a beau se présenter en son titre comme étant divisée en 4 centuries, Ruzo précise – point négligé par la plupart des bibliographes, y compris Patrice Guinard, qu’elle n’est pas encore divisée en centuries et qu’elle ne comporte pas 353 quatrains mais seulement 349.

Nous avons donc quatre états successifs pour le prix de deux éditions datées de 1588:

1 une édition à 349 quatrains sans répartition centurique

2 une édition à 4 centuries

3 une édition augmentée, complétant la centurie IV (entre temps passée à 53 quatrains) et comportant une centurie V suivie d’une addition de 71 quatrains à la VI, suivie encore d’une addition de 12 quatrains supplémentaires qui prend même le nom de centurie VII, par inadvertance.

4 Une édition à sept centuries, dont la VIIe est à 39 quatrains.

Il est clair que ces différents états ne se situent pas en la même année 1588 et nous invitent à les échelonner sur les années précédentes, et au moins pour 1587.

II Le contenu des épîtres des résurgences du XVIIe siècle

Mais d’autres données viennent confirmer la nécessité de repousser encore plus en amont l’apparition du phénomène centurique ou pré-centurique (dans le cas d’éditions dont les quatrains ne sont pas encore divisés en centuries. En effet, les éditions 1588 comportent une préface à César qui est grosso modo du même type que celles qui figurent en tête de toutes les éditions connues des Centuries. Le seul cas qui n’est pas résolu, dans le dit corpus 1588 est celui de Rouen 1588, qui reste inacessible bien que décrit trop rapidement par Ruzo. Mais l’on connait la Préface de l’édition du même libraire rouennais, pour l’année suivante 1589 et qui est « conforme » encore qu’elle comporte sept centuries mais avec une centurie VII dont on ignore le nombre de quatrains, vu que la fin en est tronquée et que l’on n’a qu’un seul exemplaire (dont nous avons copie à la Bibliotheca Astrologica), si ce n’est que l’édition d’Anvers de l’année suivante, qui semble en être le prolongement, n’a que 35 quatrains à la VII, ce qui la placerait avant l’édition à 39 quatrains(cf supra) Il convient donc de manier les données chronologiques avec la plus extrême prudence, en tenant compte notamment des rééditions et des postdatations qui en découlent.

Que nous apportent ces éditions de la seconde moitié du XVIIe siècle ? La conviction que l’état des deux épîtres centuriques, à César et à Henri II, sous sa forme « canonique » est marqué par deux problèmes : la corruption du texte et les interpolations. Or, si déjà nous avons opté pour l’année 1587 pour avoir assez d’espace pour déployer toute une série d’états successifs, il va nous falloir ménager encore un peu plus de place pour accueillit des éditions comportant des épîtres non corrompues et non interpolées.

La traduction anglaise de 1672, due à Théophile de Garencières, dont on ignore d’ailleurs l’original français correspondant, est interpolée (cf infra) mais bien moins abimée que les autres versions des Epitres centuriques, toutes années et générations confondues. Nous ne reviendrons pas ici sur les avantages du dit texte anglais mais ils sont suffisamment patents pour ne laisser guère de doute et nous rendre exigeants quant à la cohérence rédactionnelle propre, a priori, à la prose sinon aux vers. On ne tiendra pas compte ici des centuries qui suivent la dite épître car visiblement, il s’agit d’un recueil de pièces dépareillées et hétérogènes. Il nous semble assez évident que l’on dispose avec le texte londonien de 1672 d’un état antérieur à celui des éditions abordées plus haut.

Mais c’est aussi-et bien plus nettement encore - le cas de l’édition lyonnaise Antoine Besson- dont le titre reprend celui des éditions de Rouen 1689 et 1691 mais avec un contenu sensiblement différent quant aux épîtres mais aussi quant à certains quatrains- - que l’on doit dater des années 1690, sur la base de certains événements qu’il mentionne dans son commentaire, in fine- qui ne correspond pas à l’original français ayant servi à la traduction anglaise si ce n’est qu’il offre la même cohérence d’écriture que le texte anglais, pour les parties qui leur sont communes. En effet, ce qui caractérise la dite édition Besson, c’est qu’elle ne comporte pas les emprunts à Savonarole et à Roussat observés par différents chercheurs au sein de la Préface à César, lesquels nous considérons comme des interpolations forcément postérieures aux éditions sans les dites interpolations. Pour l’épître à Henri II, il en est de même, de longs développements centraux sont absents du corpus centurique Besson, à savoir les chronologies bibliques, mais aussi des emprunts à d’autres chapitres du Livre de l’Estat et Mutation de l’Univers, notamment le passage sur 1792 qui ne s’y trouve point. On peut évidemment tenir un discours affirmant que Besson a passé par-dessus bord toute une partie des deux épîtres centuriques mais nous préférerons, à tort ou à raison, l’autre analyse à savoir que nous sommes, en quelque sorte de façon inespérée pour l’historien des textes, en présence des états premiers du revival nostradamique et qu’il fat bien remonter encore un peu plus haut dans le temps, autour de 1586 du moins pour le premier volet. Car notre travail ici concerne surtout la genèse des sept premières centuries. Celle des centuries VIII à X exige une autre approche du fait qu’aucune édition de ces centuries ne nous est parvenue, isolément avant 1603.(chez Sylvestre Moreau) et que les éditions à 10 centuries sont selon nous à dater autour de 1600, au lendemain de l’édit de Nantes (1598), qui instaure un certain mode de coexistence entre les camps religieux. Or, les centuries vIII à X sont l’œuvre du camp réformé. Elles apparaissent vraisemblablement après les centuries I- VII mais probablement sans référence à celles-ci. En 1594, le quatrain IX, 86 a certainement été porté par une édition VIII-X, pour conforter le sacre d’Henri IV mais cela ne signifie nullement qu’il était ainsi numéroté et encore moins qu’il existait déjà une édition à 10 centurie, même lors de la parution du Janus Gallicus, en cette même année 1594, qui marque en tout cas l’émergence de ce groupe de centuries alors que l’autre groupe est déjà constitué à 7 centuries, dont 42 à la VII.(cf Ed. Cahors, J. Rousseau, 1590, RCN, pp. 126 et seq, Bib de la Société des Lettres de Rodez), nombre que l’on retrouve dans l’édition Antoine du Rosne 1557 ( Bib. Utrecht). On aura remarqué que nous ne tenons absolument pas compte des éditions datées des années 1555 à 1568 qui ne sont que la réplique- et non l’inverse- des éditions des années 1580 et suivantes.

On pourrait donc proposer la chronologie suivante qui ne saurait selon nous débuter avant 1584, quand La Croix Du Maine consacre une notice à Nostradamus sans mentionner un quelconque revival s’étant récemment produit. Du Verdier, pas davantage, dans sa Bibliothèque, en 1585, ne semble avoir été le témoin d’une quelconque résurgence et ses références s’entendent du temps de Nostradamus et doivent être situées dans ce seul contexte. Notre terminus sera donc 1586, ce qui nous laisse une marge de temps raisonnable pour échelonner une série d’éditions avant la date de 1588 qui, comme on a pu s’en rendre compte, n’a nullement le profil d’un point de départ du processus.

Récapitulons en conclusion quelle pourrait avoir été le premier temps du revival.

1 Une édition comportant une préface à César (type Besson, Lyon) sans les quatrains « Roussat »

Le texte n’évoque pas des centuries : il se termine ainsi « espérant à toy déclarer une chacune des Prophéties & quatrains cy mis ». Il ne s’agit nullement, on s’en doute, de laisser entendre que cette préface est authentique du moins en ce qui concerne son utilisation pour introduire un tel corpus. Les quatrains en question n’étaient pas issus des textes de Roussat, absents de cette version de la préface, ce qui nous conduit à éliminer les quatrains correspondants. On ignore combien il y a avait de quatrains, probablement 300 si l’on s’en tient à une certaine norme qui va prévaloir tout au long du processus centurique.

  1. Une édition comportant une préface augmentée mais non corrompue (type Garencières 1672) et les quatrains ‘Roussat » avec un ensemble de quatrains non encore répartis en centuries et augmenté tout au plus jusqu’à 349 (comme dans Rouen 1588, au contenu)

  2. Une édition à 4 centuries dont la IV à 49 quatrains (comme Rouen 1588, au titre)

  3. Une édition à 4 centuries dont la IV à 53 quatrains (comme Macé Bonhomme 1555, on la connait par les marques d’addition Paris 1588)

  4. Une édition augmentée à 5 centuries pleines.(on ne la connait que par les indications du n°5)

  5. Une édition à 5 centuries augmentée d’une sixième à 71 quatrains (cf le contenu des éditions parisiennes 1588-1589)

  6. Une édition augmentée d’un supplément à la VI à 71 quatrains constitué d’une « suite » à 12 quatrains (reprise des quatrains de l’almanach pour 1561)

  7. Une édition à 6 centuries pleines (ne prenant pas en compte certaines additions à la VI, cf n°7). On ne la connait que par les éditions augmentées (n°9) ayant conservé l’avertissement latin

  8. Une édition à 6 centuries augmentée d’une septième d’un certain nombre d’ articles (entre 30 et 40), avec maintien de l’avertissement latin (cf n°8) (Benoist Rigaud, 1568, Antoine du Rosne,1557 Utrecht)

  9. Une édition à 6 centuries augmentée d’une septième sans l’avertissement latin entre la VI et la VII. (cf Anvers 1590, Antoine du Rosne 1557 Budapest).

Nous avons donc une suite de dix états successifs entre 1586 et 1590, ce qui permet de resituer la production antidatée à la place restreinte qui est la sienne, ce qui est logique puisque tout emprunt est partiel par rapport à son modèle surtout s’il s’agit d’un processus évolutif :

1 édition avec préface à César interpolée et quatrains «Roussat », à 4 Centuries et 353 quatrains (Macé Bonhomme 1555) Type 4 de la série ci-dessus

2 édition avec préface (état corrompu) à César interpolée à 7 centuries dont 40 à la VII ( type 9 de la série ci-dessus), avec maintien de l’avertissement latin. Antoine du Rosne 1557, Bibl Utrecht (à 42 quatrains à la VII)

.3 édition avec préface (état corrompu) à César interpolée, à 7 centuries, dont 40 à la VII, sans maintien de l’avertissement latin (type 10 de la série ci-dessus) Antoine du Rosne 1557 Bibl. Budapest.,

Cet ordre ne préjuge pas de l’ordre de parution des dites éditions antidatées. En fait, la première parue des trois fut Antoine du Rosne, 1557. Bibl. Budapest. Les deux autres sont le fruit d’une entreprise rétrospective et rétroactive du début du XVIIe siècle.

Reste un point aveugle qui est celui de l’interprétation des textes nostradamiques et que nous aborderons plus loin. Que pouvait y trouver le lecteur des années 1580, lorsque les dits textes n’étaient accompagnés d’aucun commentaire, d’aucun mode d’emploi ? Est-ce que la Préface à César suffisait à éclairer l’éventuel interpréte ? Pour notre part, nous avons mis en exergue certains quatrains qui selon nous durent frapper l’imagination du public : IV, 46 dans le premier volet, IX, 85 dans le second. L’un hostile au camp d’Henri de Navarre, l’autre qui lui est favorable. Dans les deux cas, un nom de ville, Tours et Chartres, respectivement. La présence, au sein d’un quatrain, d’un nom propre – soit dans sa formulation claire, soit sous celle d’une anagramme - est plus frappante qu’une suite de noms « communs ». On sait à quel point, sous la Révolution, le nom de Varennes dans un quatrain frappa les esprits, ce qui par la suite interpellera jusqu’à un Dumézil. Sans cet élément nominal, l’impact d’un texte prophétique est limité. Mais il appartient au commentaire de souligner celui-ci, quitte à modifier certains mots, à l’occasion d’une traduction comme ne se prive pas le faire Jean Aimé de Chavigny lors de sa traduction-interprétation des quatrains nostradamiques. ( Janus Gallicus, 1594). On peut penser que les traductions anglaises des centuries auront généré divers infléchissements du texte français d’origine.

En fait, le nom de Nostradamus avait été entretenu depuis sa mort par tout un ensemble de publications se référant peu ou prou à son héritage mais quelque part occultant son oeuvre. Dans notre post-doctorat de 2007 (téléchargeable à partir du site propheties. it), nous avons ainsi signalé une contribution passée inaperçue de Jean Aimé de Chavigny à ce mouvement : c’est ainsi que l’on trouve une adresse signée I. A. CH adressée à un certain astrologue du nom de Cormopéde dont l’œuvre serait prétendument traduite de l’allemand, dans laquelle le nom de Janus figure déjà. Il s’agit de l’Almanach des almanachs le plus certain pour l'an 1592, Lyon, Jean Pillehotte. Benazra reproduit en partie cette courte adresse mais ne relève pas les initiales. ( Bibl. Lyon La Part Dieu, cf RCN, p. 128 -130). En revanche, il note que cet almanach qui parait pendant plusieurs années comporte des quatrains « mensuels » en réalité issus des centuries prophétiques ( à partir des deux volets) sans les désigner toutefois comme tels. On peut y voir, nous semble-t-il, un premier travail de compilation dû à Chavigny et qui montre qu’il disposait déjà au début des années 1590 du matériau qu’il commentera un peu plus tard dans son Janus François, ce qui ne signifie pas qu’il ait déjà existé dès ce temps là une édition à 10 centuries, ce qui semble n’avoir été le cas qu’à partir de 1594, chez Benoist Rigaud, avec lequel il est fort probable qu’il ait collaboré.. Mais il existe une autre hypothèse que nous avions largement développée dans notre thèse d’Etat de 1999, à savoir que ce matériau ne serait pas issu des Centuries mais en serait tout au contraire une des sources. Reprenons en effet la description de R. Benazra-lequel n’avait pas identifié un tel matériau chez Crespin- « La plupart des quatrains-présages de l’année (1592 /1593) sont textuellement empruntés aux Centuries ». Il est bien dit « la plupart », ce qui signifie que d’autres quatrains présages ne se retrouveront pas dans les dites Centuries. Il n’est pas non plus indiqué que ces quatrains sont référencés selon le code « centurique », ils se présentent en fait comme des quatrains mensuels, sur le modèle et dans le style des quatrains de Nostradamus, dont selon nous une réédition venait d’être effectuée par Benoist Rigaud. Et dès lors, il pouvait être tentant de les utiliser comme étant de Nostradamus. C’est peut-être ainsi que le processus néo-centurique aurait été enclenché : « néo-centurique » dans la mesure où les quatrains des almanachs de Nostradamus seraient parus sous le nom de « centuries », comme l’atteste Antoine Du Verdier dans sa Bibliothèque. Cela pourrait valoir, d’ailleurs, tant pour les quatrains du second que du premier volet puisque l’on n’a pas la preuve qu’aucune édition centurique ne parut avant la sortie du recueil Rigaud des centuries de quatrains mensuels. Le cas Crespin est emblématique : la présence, comme chez Cormopéde – mais chez Crespin, ce ne sont pas le plus souvent des quatrains- d’un important matériau néo-centurique, toutes centuries confondues, va dans le même sens d’autant qu’il est des éléments crespiniens qui ne seront pas repris, non plus, dans le corpus néo-centurique. Dans le cas de Noël Léon Morgard, on dispose d’un manuscrit (à la BNF) portant le nom de Nostradamus et comportant outre les sixains « morgardiens » des sixains qui ne figurent ni chez Morgard ni dans les éditions néo-centuriques ; ce manuscrit pourrait être la source à laquelle aurait puisé Morgard, le dit Morgard étant à son tour récupéré pour la formation du troisiéme volet néo-centurique, comportant d’ailleurs les quatrains « centuriques » des almanachs sous le nom de « présages », lequel volet ne commence pas par l’épitre à Henri IV mais dès la fin de la centurie X. En fait, il est constitué de toutes les additions à la version Rigaud.

38 Cf notre postface à l’Introduction au jugement des astres de Claude Dariot, Ed. Pardés, Puiseaux, 1990

39 Cf Le texte prophétique en France, formation et fortune, Paris X, 1999

40 Voir P.. Guinard, « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) », Revue française d’histoire du lvre, n° 129, 2008,p.67

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