43 - La Lettre apocryphe de Saint Thomas d’Aquin sur l’alchimie et ses rapports avec la Lettre d’Aristée à son fils.
Par Jacques Halbronn
En 1686, dans son édition parue à La Haye en 1686 (puis à Paris, en 1688), Limojon de Saint Didier ne prétend nullement être l’auteur de cette Lettre. C’est là une supposition de Bernard Husson qui pourtant connait les deux textes, celui du Petit Albert et celui de La Lettre d’un philsophe sur le magistère du Grand Œuvre. Ne pourrait-on en fait remonter au grand disciple d’Albert, à savoir Thomas d’Aquin, lui aussi auteur (prétendu) d’une Lettre sur l’Alchimie ?
I La comparaison Petit Albert- Limojon de St Didier
Nous avons ci-dessous mis en évidence les différences et les variantes entre les deux documents, en mettant entre crochets ce qui ne figure que chez Limojon et entre parenthèses ce qui ne figure que dans le Petit Albert. Différences assez sensibles si on les compare, par exemple, à celles qui distinguent les diverses versions de la (pseudo) Préface à César de Nostredame par son père. Il est évident que ce travail ne peut se faire sur des traductions car il s’agit de s’assurer que les mots sont globablement les mêmes dans les deux versions et ne dérivent pas d’une autre source. En dépit des différences, les similitudes restent flagrantes.
Le paragraphe 5 retiendra particulièrement notre attention. Notons cependant que la version du Petit Albert n’est pas découpée en paragraphes numérotés :
5. « Lors qu'on est [en possession] (sans la possession) de cette clef, les richesses deviennent méprisables ; d'autant qu'il n'y a point de Tresor, qui puisse luy estre comparé. »
Il semble bien que la version Petit Albert soit préférable. L’auteur entend que celui qui n’a pas résolu ses problèmes de santé ne peut être heureux de ses richesses. A contrario, celui qui n’a plus à craindre de la maladie peut apprécier les autres plaisirs du monde. Ce que vient confirmer le début du paragraphe suivant figurant à l’identique dans les deux versions, ce qui semble signifier que Limojon ne maîtrise pas son texte et donc qu’il peut difficilement en être l’auteur :
6. En effet dequoy servent les richesses, lors qu'on est sujet à estre affligé des infirmitez humaines ?
Le paragraphe 33 ne se retrouve pas dans le Petit Albert :
33. [C'est un secret qui passe la portée de l'esprit de l'homme, sçavoir tirer de l'air, l'Arcane Celeste].
En revanche, les paragraphes 44 et 45 sont beaucoup plus étoffés chez le Petit Albert que dans Limoujon de St Didier :
44. Ajoute (Tu ajouteras) en suite à cet air (cuit) un nouvel air, non en grande quantité; mais autant qu'il luy en faut. (c'est-à-dire un peu moins que la première fois. Continue ainsi jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un demi-bocal d’air liquide qui n’ait point été cuit.)
45. Fais en sorte qu'il (ce qui a été cuit) se liquefie doucement (par fermentation au fumier chaud), [qu'il se pourrisse], qu'il noircisse, qu'il durcisse (s’endurcisse), qu'il s'unisse (s’unifie), qu'il se fixe, & qu'il rougisseNous avons été voir dans la littérature alchimique quel usage se faisait de ce « fumier chaud », absent de la Lettre de 1686. On y reviendra plus loin
Au-delà du paragraphe 50, qui est conclusif chez Limojon, on trouve ce développement uniquement chez le Petit Albert ;
(Je t’en laisse un petit échantillon dont la bonté te sera prouvée par la parfaite santé dont je jouis, étant âgé de plus de cent huit ans. Travaille et tu seras aussi heureux que je l’ai été, ainsi que je le souhaite, au nom et par la puissance du Grand Architecte de l’Univers)
Les deux versions croisées :
1. Mon Fils, après t'avoir donné la connoissance de toutes choses, & t'avoir apris comment tu dois vivre, & de quelle manière tu dois régler ta conduite par les maximes d'une excellente Philosophie;
2. Aprés t'avoir instruit aussi de tout ce qui regarde l'ordre & la nature de la Monarchie de l'Univers;
3 Il ne me reste autre chose à te communiquer, que les clefs de la nature, que j'ay jusques icy conservées avec un tres grand soin.
4. Entre toutes ces clefs, celle qui ouvre le lieu (saint) fermé (aux plus sublimes génies) tient sans difficulté le premier rang (doit tenir le rang) elle est la source généralement (générale) de toutes choses, & l'on ne doute point que Dieu ne luy ait particulièrement donné une propriété toute Divine.
5. Lors qu'on est en possession (sans la possession) de cette clef, les richesses deviennent méprisables ; d'autant qu'il n'y a point de Tresor, qui puisse luy estre comparé.6. En effet dequoy servent les richesses, lors qu'on est sujet à estre affligé des infirmitez humaines ? à quoy sont bons (tous) les tresors, lors qu'on se voit terrassé par la mort ?
7. Il n'y a point de richesses qu'il ne faille abandonner, lors que la mort se saisit de nous ;
8. Il n'en est pas de même, quand je possede cette clef ; car pour lors je vois la mort loin de moy, & je suis asseuré que j'ay en mon pouvoir un secret qui m'ôte toute sorte de crainte.(toute l’appréciation des misères de cette vie)
9. J'ay les richesses à commandement, & je ne manque point de Tresor (s); la langueur fuit devant moy, & je retarde les approches de la mort, lors que je possede la clef d'or (dorée du grand œuvre).10. C'est de cette clef, mon Fils, que je veux te faire mon héritier ; mais je te conjure par le nom de Dieu, & par le lieu Saint qu'il (que j’) habite, de la tenir enfermée dans le cabinet de ton cœur, & sous le sceau du silence.
11. Si tu sçay t'en servir, elle te comblera de biens, & lors que tu seras vieux ou malade, elle te rajeunira, te soulagera, & te guérira:
12. Car elle a la vertu particulière de guérir toutes les maladies (et) d'illustrer (sic) les métaux, & de rendre heureux ceux qui la possedent.
13. C'est cette (une) clef que nos Peres nous ont si fort recommandée sous le lien (sceau) du serment.14. Apprend donc à la connoître, & ne cesse point de faire du bien au (x) pauvre (s) (à la veuve), & à l'orphelin, & que c'en soit-là [le sceau &] le véritable caractere.
15. (Sache donc que) Tous les estres qui sont sous le Ciel divisez en especes différentes, tirent leur origine d'un même principe, & c'est à l'air qu'ils doivent tous leur naissance, comme à leur principe commun.
16. La nourriture de chaque chose fait voir quel est son principe ; puisque ce qui soutient la vie, est cela même qui donne l'estre.
17. Le poisson joüit de l'eau, & l'enfant tette (tête) sa mere : l'arbre ne produit aucun fruit lorsque son tronc n'a plus d'humidité.
18. On connoist par la vie le principe des choses, la vie des choses est l'air, & par consequent l'air est leur principe.19. C'est pour cela que l'air corrompt toutes choses, & comme il leur donne la vie, il la leur ôte aussi de même.
20. Les (le) bois, le fer, les pierres prennent fin par le feu,(et le feu ne peut subsister que par l’air)[ & enfin toutes choses sont reduites en leur premier estat.]
21. Mais telle qu'est la Cause de la corruption, telle (l') est aussi de la generation.
22. Quand par diverses corruptions il arrive enfin que les creatures souffrent, soit par le temps ou par le defaut du sort, l'air (leur) survenant (à leur secours) les guerit [aussi tost ] qu’elles soi(en)t imparfaites, ou languissantes.
23. La terre, l'arbre, & l'herbe languissant par l'ardeur de trop de secheresse, mais toutes choses sont reparées par la rosée de l'air.
24. [Toutefois] (néanmoins) Comme nulle creature ne peut estre reparée & rétablie qu'en sa propre nature, l'air estant la fontaine & la source originelle de toutes choses, il en est aussi pareillement la source universelle.25. On voit manifestement que la semence, [la vie], la mort, la maladie & le remede de toutes choses sont dans l'air.
26. La nature y a mis tous ses tresors (avec les principes de generation et de corruption de toutes choses), & les y tient renfermez comme sous (derrière) des portes particulieres & secrettes.
27. Mais c'est (véritablement) posseder la clef d'or (dorée) (de ces portes, que de sçavoir ouvrir [ces portes] (assez heureusement), & puiser l'air de l'air.(cet air)
28. [Car si l'on ignore comment il faut puiser cet air], il est impossible d'acquerir ce qui guérit généralement toutes les maladies, & qui redonne (ou conserve) la vie aux hommes .
29. Si tu desires donc (ô mon fils) de chasser toutes les infirmitez, il faut que tu en cherches le moyen dans la source générale.(primitive et universelle)30. La nature ne produit le semblable, que par le semblable, & il n'y a que ce qui est (semblable ou) conforme à la nature qui peut faire du bien à la nature.
31. Apprends donc, mon Fils, à prendre l'air ; apprends à conserver la Clef de la nature.
32. les Creatures peuvent bien connoistre l'air; mais pour prendre l'air, il faut avoir la clef de la nature.
33. [C'est un secret qui passe la portée de l'esprit de l'homme, sçavoir tirer de l'air, l'Arcane Celeste].
34. C'est un grand secret de comprendre la vertu que la nature a imprimée aux choses. Car les natures se prennent par des natures semblables.
35 Un poisson se prend avec un poisson; un oiseau avec un oiseau ;& l'air se prend avec un autre air, comme avec une douce amorce.
36. La neige & la glace sont un air que le froid a congelé, la nature leur a donné la disposition qu'il faut pour prendre l'air.37. Mets (Tu mettras) une de ces deux choses dans un vase (vaisseau de terre ou de métal qui soit bien) fermé(et bien bouché). Prends (Tu prendras) l'air qui se congele à l'entour (de ce vase) pendant un temps chaud, [recevant] ce qui distille dans un vaisseau profond, (et bien) étroit,(par le col) épais, fort & net, afin que tu puisses faire comme il te plaira, ou les rayons du Soleil, ou de la Lune (c'est-à-dire l’or et l’argent).
38. Lors que tu en auras rempli un vase, bouche le bien, de peur que cette celeste éteincelle, qui s'y est concentrée, ne s'envole dans l'air.
39. Emplis de cette liqueur autant de vases que tu voudras ; écoute ensuite ce que tu en dois faire, & garde le silence.
40. Bâtis un fourneau, places y un petit vase moitié plein de l'air (liquide) que tu as pris (recueilli), & scelle(et lute (sic) le dit vase) le exactement.41. Allume ensuite ton feu, en sorte que la plus legere partie de la fumée monte souvent en haut, & que la nature fasse ce que fait continuellement le feu central au milieu de la terre, où il agite les vapeurs de l'air, par une circulation qui ne cesse jamais.
42. Il faut que ce feu soit leger, doux & humide, semblable à celuy d'un oiseau qui couve ses oeufs.
43. Tu dois continuer le feu de cette sorte, & l'entretenir en cet état, afin qu'il ne brûle pas ; mais plûtost qu'il cuise ce fruit aérien, jusques à ce qu'après avoir esté agité de mouvement pendant un long-temps, il demeure entierement cuit au fond du vaisseau.
44. Ajoute (Tu ajouteras) en suite à cet air (cuit) un nouvel air, non en grande quantité; mais autant qu'il luy en faut.(c'est-à-dire un peu moins que la première fois. Continue ainsi jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un demi-bocal d’air liquide qui n’ait point été cuit.)
45. Fais en sorte qu'il (ce qui a été cuit) se liquefie doucement (par fermentation au fumier chaud), [qu'il se pourrisse], qu'il noircisse, qu'il durcisse (s’endurcisse), qu'il s'unisse (s’unifie), qu'il se fixe, & qu'il rougisse.46. Ensuite la partie pure estant séparée de l'impure, par le moyen du feu (légitime), & par un artifice tout divin.
47. [Puis] tu prendras une partie [pure] d'air crud, que tu méleras avec la partie pure qui a esté durcie.
48. Tu auras soin que le tout se dissolve & s'unifie (s’unisse), qu'il devienne médiocrement noir, (puis) blanc, [dur], & enfin parfaitement rouge.
49. C'est icy la fin de l'Oeuvre, & tu as fait cet elixir qui produit toutes les merveilles (que nos Sages devanciers ont eu raison de tant estimer [ que tu as vues]
50. Et tu possedes (posséderas) par ce moyen la clef d'or (dorée), du plus inestimable secret de la nature, l' (le vrai) or potable (et) la médecine universelle,[ & un tresor inépuisable.]
( Je t’en laisse un petit échantillon dont la bonté te sera prouvée par la parfaite santé dont je jouis, étant âgé de plus de cent huit ans. Travaille et tu seras aussi heureux que je l’ai été, ainsi que je le souhaite, au nom et par la puissance du Grand Architecte de l’Univers )
II Le texte alchimique attribué à St Thomas d’Aquin
Abordons à présent un ouvrage qui s’est offert à nous à propos du « fumier chaud ». Ce n’est autre que’ le TRAITÉ DE SAINT THOMAS D’AQUIN SUR L’ART DE L’ALCHIMIE. Dédié au frère Reinaldus (Reginald). Rappelons que Thomas fut le disciple d’Albert le Grand qui est cité à deux reprises, fort élogieusement. Or, dans ce traité considéré comme apocryphe, Thomas s’adresse au frère Reinaldus en l’appelant, plusieurs fois, « mon fils », usage bien connu et qui n’implique aucun lien de parenté.
CHAPITRE I
A tes prières assidues, mon très cher frère, je me propose de te décrire en ce bref traité divisé en huit chapitres, certaines règles simples et efficaces pour nos opérations, ainsi que le secret des véritables teintures ; mais auparavant je t’adresse trois recommandations.
Premièrement : ne prête pas beaucoup d’attention aux paroles des Philosophes modernes ou anciens qui ont traité de cette science, parce que l’Alchimie consiste entièrement dans la capacité de l’entendement et dans la démonstration expérimentale (37). Les Philosophes voulant cacher la vérité des sciences, ont parlé presque toujours figurativement.
Deuxièmement : n’apprécie jamais ni n’estime la pluralité des choses ni les compositions formées de substances hétérogènes (38), car la nature ne produit rien que par les semblables, et quoique le cheval et l’âne produisent le mulet, ce n’en est pas moins une génération imparfaite, comme celle qui peut se produire par hasard exceptionnellement avec plusieurs substances.
Troisièmement : ne sois pas indiscret, mais surveille tes paroles, et comme un fils prudent, ne jette pas les perles aux pourceaux.
Conserve toujours présente à ton esprit la fin pour laquelle tu as entrepris l’œuvre. Tiens pour certain que si tu gardes constamment devant tes yeux ces règles qui me furent données par Albert-le-Grand, tu n’auras rien à quémander aux Rois et aux grands, mais, au contraire, les Rois et les grands te couvriront d’honneurs (39). Tu seras admiré de tous, en servant par cet art les Rois et les Prélats, car non seulement tu subviendras à leurs besoins mais encore tu subviendras à ceux de tous les indigents, et ce que tu donneras ainsi vaudra dans l’éternité autant qu’une prière. Que ces règles soient donc gardées au fonds de, ton cœur sous un triple sceau inviolable, car dans mon autre livre, donné au vulgaire, j’ai parlé en philosophe, tandis qu’ici, confiant en ta discrétion, j’ai révélé les secrets les plus cachés.
CHAPITRE II DE L’OPERATION
Comme l’enseigne Avicenne dans son épître au roi Assa, nous cherchons à obtenir une substance véritable au moyen de plusieurs intimement fixées, laquelle substance étant placée dans le feu, l’entretienne et l’alimente, et qui soit en outre pénétrative et ingressive, qui teigne le mercure et les autres corps; teinture très véritable, ayant le poids requis et surpassant par son excellence tous les trésors du monde.
Pour faire cette substance, comme le dit Avicenne, il faut avoir de la patience, du temps et les instruments nécessaires.
De la patience, parce que selon Geber, la précipitation est l’œuvre du diable; aussi celui qui n’a pas de patience doit suspendre tout travail.
Du temps, parce que dans toute action naturelle résultant de notre art, le moyen et le temps sont rigoureusement déterminés .
Des instruments, nécessaires non pas en grand nombre comme on le verra dans la suite, puisque notre œuvre s’accomplit au moyen d’une chose, d’un vase, d’une seule voie et d’une seule opération (in una re, uno vase, una via et una operatione) comme l’enseigne Hermès.
Il est permis de former la médecine de plusieurs principes agglomérés; toutefois, il n’est besoin que d’une matière et d’aucune chose étrangère, sinon du ferment blanc ou rouge. Toute l’Œuvre est purement naturelle; il suffit d’observer les diverses couleurs suivant le temps où elles apparaissent.
Le premier jour, il faut se lever de grand matin et de voir si la vigne est en fleurs et se transforme en tête de corbeau; puis elle passe par diverses couleurs entre entres lesquelles il faut remarquer le blanc intense parce que c’est celle-là que nous attendons et qui révèle notre roi, c’est-à-dire 1 ‘élixir ou la poudre simple, lui a autant de noms qu’il y a de choses au monde. Mais Pour terminer en peu de mots notre matière ou magnésie est appelée Terre d’Espagne ou Antimoine, mais remarque bien que je ne désigne pas par-là le mercure commun dont se servent les sophistes et qui ne donne qu’un résultat médiocre, malgré les grandes dépenses qu’il occasionne, et s’il te plaisait de travailler avec lui, tu parviendrais incontestablement à la vérité, mais après une interminable coction et digestion Suis donc Plutôt le bienheureux Albert le Grand, mon maître, et travaille avec le vif argent minéral, car en lui seul est le secret de l’œuvre. Puis, tu opéreras la conjonction des deux teintures, blanche et rouge, provenant des deux métaux parfaits qui, seuls, donnent une teinture parfaite; le mercure ne communique cette teinture qu’après l’avoir reçue; c’est pourquoi en les mêlant toutes deux, elles se mélangeront mieux avec lui et le pénétreront plus intimement.
DE LA COMPOSITION DU MERCURE ET DE SA SÉPARATION
Et quoique notre œuvre s’achève au moyen de notre mercure seul, il a besoin néanmoins du ferment rouge ou blanc ; il se mêle alors facilement avec le Soleil et la Lune, car ces deux, corps participent beaucoup de sa nature et sont aussi plus parfaits que les autres. La raison est que les corps sont plus parfaits suivant qu’ils contiennent plus de mercure. Ainsi le Soleil et la Lune, en contenant plus que les autres, se mêlent au rouge et au blanc et se fixent dans le feu, parce que c’est le mercure seul qui parfait l’Œuvre en lui, nous trouvons tout ce qui nous manque pour notre œuvre, sans que nous ayons besoin d’y rien ajouter.
Le Soleil et la Lune ne lui sont pas étrangers, parce qu’ils sont réduits dès le commencement de l’Œuvre, en leur matière première, c’est-à-dire en mercure; ils tiennent donc de lui leur origine. Certains s’efforcent de parachever l’Œuvre au moyen du seul mercure ou de la simple magnésie, les lavant dans le vinaigre très aigre, les cuisant dans l’huile, les sublimant, les brûlant, calcinant, distillant ; extrayant leur quintessence, les mettant à leur torture par les éléments et une infinité d’autres supplices (martyrizationibus) croyant que leur opération leur sera très profitable; et finalement, ils n’en tirent qu’un résultat modique.
Mais crois-moi, mon fils, tout notre mystère consiste seulement dans le régime et la distribution du feu et dans la direction intelligente de l’Œuvre.
Nous n’avons que peu de chose à faire, c’est la vertu du feu bien dirigé qui opère sur notre œuvre , sans que nous ayons grand travail, ni grande dépense, car je suppose que lorsque notre pierre était dans son état premier, c’est-à-dire Eau première, ou Lait de la Vierge, ou Queue de dragon on l’ait dissoute, elle se calcine alors, se sublime, se distille, se réduit, se lave, se congèle elle-même et par la vertu du feu bien proportionné s’achève seule dans un vase unique sans aucune autre opération manuelle. Sache donc, mon fils comment les philosophes ont parlé figurativement des opérations manuelles et afin que tu sois assuré de la purgation de notre mercure, je t’en enseignerai la simple préparation. Pends donc du mercure minéral ou Terre d’Espagne ou Antimoine ou Terre noire, ce qui est la même chose et qui n’ait été employé auparavant à aucune autre œuvre. Prends en vingt-cinq livres ou un peu plus et fais les passer par drap de lin un peu épais, et ceci est le véritable lavage (lotio vera). Regarde bien après l’opération s’il ne reste aucune ordure ou scorie, car alors le mercure, ne, pourrait être employé à notre œuvre. Si rien n’apparaît, tu peux le juger excellent. Remarque bien qu’il n’est besoin de rien ajouter à ce mercure et que l’œuvre peut être ainsi achevée.
DE LA MANIERE DE FAIRE L’AMALGAME
Puisque notre Œuvre s’accomplit par le seul mercure sans l’addition d’aucune autre matière étrangère, je traiterai brièvement de la manière de faire l’amalgame. Car ceci est très mal compris de beaucoup de philosophes qui croient que l’œuvre peut s’accomplir par le seul mercure sans être pourtant uni à sa sœur ou sa compagne (compar ejus) Je te dis donc avec assurance que tu dois travailler avec le mercure uni à son compagnon, sans ajouter, aucune matière étrangère au mercure, et sache que l’Or et, l’Argent ne sont pas étrangers au mercure, mais au contraire participent plus de sa nature que tous les autres corps. C’est pourquoi réduit en leur première nature, on les appelle sœurs ou compagnes du mercure, car de leur composition et de leur fixation, résulte le lait de la Vierge. Si tu comprends clairement ceci et si tu n’ajoutes rien d’étranger au mercure, tu obtiendras la réalisation de tes vœux.
DE LA COMPOSITION DU SOLEIL ET DU MERCURE
Prends le soleil commun bien épuré, c’est-à-dire chauffé au feu ce qui donne le ferment rouge; prends en deux onces et coupe-le en petits morceaux avec les pinces; ajoute quatorze onces de mercure que tu exposeras au feu dans une tuile creuse, puis dissous l’or en le remuant avec une baguette de bois. Lorsqu’il sera bien dissout et mêlé, place-le tout dans l’eau claire et dans une écuelle de verre ou de pierre, lave le et nettoie-le jusqu’à ce que la noirceur s’en aille de l’eau alors si tu y prends garde, tu entendras la voix de l’oiseau (vox turturis) dans notre terre. Et lorsqu’elle sera bien purifiée, place l’amalgame dans un morceau cuir bien lié à sa partie supérieure en forme de sac, puis tu presseras fortement pour qu’il passe au travers. Lorsque deux auront été ainsi pressées les quatorze qui restent sont aptes à être employées à notre opération. Prends bien garde de n’en extraire que deux onces ni plus ni moins. S’il y en avait plus, retranches-en ; s’il y en avait moins ajoute. Et ces 2 onces ainsi exprimées, et qui sont appelées lait de la Vierge, tu les réserveras pour la deuxième opération.
Transvase maintenant la matière dans un vase de terre et mets ce vase dans le fourneau décrit ci-dessus. Puis ayant allumé une lampe au-dessous, chauffe ainsi avec ardeur nuit et jour sans jamais éteindre. Que la flamme soit entièrement enfermée et environne l’athanor qui sera bien fixé sur le lut de sapience.
Si après un mois ou deux tu as observé les fleurs éclatantes et les couleurs principales de l’œuvre c’est-à-dire la noire, la blanche, la citrine et la rouge, alors sans aucune autre opération de tes mains, par la direction du seul feu, ce qui était manifeste sera et ce qui était caché sera manifeste. C’est pourquoi notre matière parvient d’elle-même à l’élixir parfait, se convertissant en une poudre très subtile appelée terre morte ou homme mort dans le sépulcre ou magnésie sèche; cet esprit est caché dans le sépulcre, et l’âme en est presque séparée. Lorsque vingt-six semaines se sont écoulées depuis le commencement de l’œuvre, alors ce qui était grossier deviendra subtil, ce qui était rude deviendra mou, ce qui était doux deviendra amer et par la vertu occulte du feu la conversion des principes sera achevée. Lorsque tes poudres seront complètement sèches et que tu auras achevé ces opérations, tu essaieras la transmutation du mercure; ensuite je t’enseignerai les deux autres opérations parce qu’une partie de notre œuvre ne peut encore transmuer que sept parties de mercure bien épuré.
DE L’AMALGAME AU BLANC
On suit la même méthode pour obtenir 1e ferment blanc ou ferment de la Lune. On mélange ce ferment blanc avec sept parties de mercure bien épuré comme on a fait pour le rouge. Car dans l’œuvre au blanc il n’entre aucune autre matière que le blanc et dans l’œuvre au rouge aucune autre que le rouge ; de même notre eau devenant rouge ou blanche suivant le ferment ajouté et le temps employé à l’œuvre, on peut teindre le mercure au blanc comme on l’a fait pour le rouge.
Remarquons en outre que l’argent en feuilles est plus utile ici que l’argent en lingot (argentum massale) par ce qu’il se lie plus facilement au mercure et se doit amalgamer avec le mercure froid et non pas chaud. Ici beaucoup ont erré en dissolvant leur amalgame dans l’eau forte la composition de l’eau forte, ils reconnaissent qu’elle ne peut que la détruire. D’autres, voulant travailler avec l’or ou l’argent selon les règles de ce livre, errent en disant que le soleil n’a pas d’humidité selon les de té, et le font dissoudre dans l’eau corrosive puis le laisse digérer dans un vaisseau de verre bien fermé pendant quelques mois; mais il vaut mieux au contraire que la quintessence soit extraite par la vertu du feu subtil, dans un vase de circulation appelé à cause de cela Pélican .
Le soleil minéral ainsi que la Lune sont mêlés de tant d’immondices que leu purification est, nécessaire et n’est pas une œuvre de femmes ni un jeu d’enfants; au contraire la dissolution, la calcination et les autres opérations pour le parachèvement du grand Œuvre sont un travail d’hommes robustes .
DE LA SECONDE ET DE LA, TROISIEME OPERATION
Cette première, partie, achevée, procédons à l’accomplissement de la seconde. Il faut ajouter sept parties de mercure, au corps obtenu dans notre première œuvre et appelé Queue de, dragon ou Lait de la Vierge. Fais passer, le tout à travers le cuir et retiens-en sept parties; lave et mets-le tout dans le vase de fer, puis dans le fourneau comme tu as fait la première fois et tu y emploieras le même temps ou à peu près, jusqu’à ce que la poudre soit de nouveau formée. Tu la recueilleras et tu la trouveras beaucoup plus fine et subtile que la première parce qu’elle est plus digérée. Une partie en teint sept fois sept en Elixir. Procède alors à la troisième opération comme tu as fait pour la première et pour la seconde ; ajoute au poids de la poudre obtenue dans la seconde opération sept parties de mercure épuré et mets-le dans le cuir de telle sorte qu’il en reste sept parties du tout, comme ci-dessus. Fais cuire le tout de nouveau, réduis en poudre très subtile, laquelle projetée sur le mercure en teindra sept fois quarante-neuf parties, ce qui fait trois cent quarante-trois parties. La raison en est que plus notre médecine est digérée, plus elle devient subtile; plus elle est subtile, plus elle est pénétrative; et plus elle est pénétrative, plus elle transmue de matière. Pour finir, remarque bien que si l’on n’a pas de mercure minéral, on peut indifféremment travailler avec le mercure commun ; quoique ce dernier n’ait pas la même valeur, il donne néanmoins un bon profit.
DE LA MANIERE DE TRAVAILLER LA MATIERE ou MERCURE
Passons maintenant à la teinture du mercure. Prends une coupelle d’orfèvre et enduis en un peu l’intérieur avec de la graisse et places-y notre, médecine suivant la proportion requises le tout sur feu lent, et lorsque le, mercure commence à fumer projette, la médecine enfermée dans de la cire propre ou dans du papier (papyrus) et prends un gros charbon embrasé et spécialement préparé pour cet usage que tu mettras sur le fond du creuset; puis donne un feu violent, et lorsque tout sera liquéfié, tu projetteras clans un tube enduit de graisse et tu auras de l’or ou de l’argent très fins suivant le ferment que tu aura ajouté. Si tu veux multiplier la médecine, opère avec le fumier de cheval suivant le moyen que je t’ai déjà enseigné oralement comme tu le sais, et que je ne veux pas écrire, parce que c’est un péché de révéler ce secret aux hommes du siècle qui recherchent la science plutôt par vanité que dans le but du bien et pour l’hommage dû à Dieu, auquel gloire et honneur soient dans les siècles des siècles. Amen ! Remarque bien que j’ai toujours vu accomplir par le Bienheureux Albert le Grand cet œuvre que je viens de décrire en style vulgaire, au moyen de la terre Hispanique ou Antimoine, mais je te conseille de n’entreprendre que le petit Magistère que je t’ai brièvement décrit, dans lequel il n’y a nulle erreur et qui s’accomplit avec peu de dépense, peu de travail, et en peu de temps ; alors tu arriveras à la fin désirée. Mais, mon très cher frère n’entreprends pas le Grand Magistère, parce que pour ton salut et pour le devoir de la Prédication du Christ, tu dois plutôt attendre les richesses éternelles que les biens terrestres et temporels.
Ici finit le Traité de Saint-Thomas sur la multiplication alchimique, dédié à son frère et ami, le Frère Reinaldus pour le Thesaurus secretissimus.
Nous terminerons par cette réflexion : est-ce que la forme « mon fils » que l’on trouve dans la Préface (centurique) à César, dans le Petit Albert et dans la Lettre « au sujet de ce qu’Aristée a laissé par écrit à son fils, touchant le magistère ne trouvent point leur origine dans ce pseudépigraphe attribué à Thomas d’Aquin. Mais dans ce cas, pourquoi ce recours à Aristée ? Parce qu’il est l’auteur (prétendu) d’une Lettre célèbre (adressée à son frère Philocrate). Ce genre d’amalgame est assez courant chez les faussaires.
L’ouvrage de notre regretté ami Serge Hutin (Nostradamus et l’alchimie, Ed. du Rocher 1988) montre assez la marque de la culture alchimique en plus d’un quatrain (on pense, entre autres, à ce quatrain où Jupiter est désigné par l’étain (et non l’estang). Selon nous, parmi les rédacteurs du corpus centurique devait figurer un personnage imprégné de littérature alchimique et c’est lui qui aurait eu, notamment, l’idée de cette Lettre de Nostradamus à son fils. Faut-il rappeler que si Nostradamus mentionne son fils dans un texte repris par Antoine Couillard (Prophéties, 1556), il ne s’agissait pas alors d’une épitre à lui dédiée comme ce sera le cas dans les contrefaçons des années 1580. En vérité, le corpus centurique est fort hétéroclite et hétérogène et mérite vraiment d’être qualifié de compilation, allant de la géographie des pèlerinages à l’alchimie des grimoires, des emprunts au Livre de l’Estat et mutation de Richard Roussat comme au Compendium de Savonarole. Y voir l’expression d’un seul auteur et d’une seule et même époque historique nous semble bien vain.
JHB
28. 03. 11
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