Monday 12 March 2012

Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés

 

Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés

Nous voudrions insister sur deux points : d’une part, l’utilisation de documents d’époque permettant de conférer au faux un cachet ancien, une patine et d’autre part, le principe d’une sorte de « double comptabilité », à savoir que les contrefaçons sont doublement datées et que l’on modifie seulement les pages de titre pour disposer à la fois d’une date présente –ou d’une absence de date – et d’une date ancienne. Certains ont contesté ce second point en soulignant que les éditions antidatées (1555-1568) n’ont pas leur pendant exact à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle.

I La préparation des fausses éditions antidatées.

Certains nostradamologues ont montré à quel point certaines éditions datées du vivant de Nostradamus et censées avoir été publiées chez tel ou tel libraire/éditeur sont, au niveau de leur présentation respectent un certain nombre de traits caractéristiques des libraires concernés (bandeaux, lettrines etc.). Patrice Guinard a dévolu beaucoup de temps à mettre ce point en évidence en faisant appel évidemment à d’autres documents que les documents centuriques, à des fins de comparaison. Mais en même temps, ce faisant, il est à craindre qu’il ne nous montre surtout comment les faussaires eux-mêmes auront procédés, en se servant des mêmes données qu’il aura mises en évidence. On retrouve ainsi certaines lettrines de la Préface à César dans certains ouvrages produits par le dit Bonhomme, signe d’authenticité ou au contraire indication d’imposture ? Dans notre travail consacré à la prophétie de Saint Malachie (Papes et prophéties, Ed. Axiome, 2005), nous avons montré que ce sont les mêmes documents qui servent à valider le texte et qui servent à la constituer, à savoir des Histoires de la Papauté.

Prenons le cas du privilège figurant en tête des éditions Macé Bonhomme 1555. C’est probablement un cas unique de privilège figurant au sein d’une édition centuriques des XVIe ou XVIIe siècle alors même que les almanachs et pronostications sont très fréquemment accompagnés de privilèges de tous ordres.1 Au verso de la page de titre comportant « La permission est insérée à la page suivante. AVEC PRIVILEGE » on trouve un Extraict des registres de la Sénéchaussée de Lyon ». Or, il faut savoir que ce type de document est attesté au sein de pronostications. On a le cas de l’édition de la Pronostication nouvelle pour 1558, Lyon, Jean Brotot et Antoine Volant.(cf Catalogue Scheler, op. cit. p 24) qui diffère d’ailleurs de l’édition (que nous avions retrouvée à la Bibl. de La Haye), reprise par B. Chevignard (in Présages de Nostradamus, op. cit.,p. 442) parue, quant à elle, à Paris, chez Guillaume Le Noir. Il n’était pas bien difficile de recycler un tel Extraict et de le retoucher pour le placer en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555 si ce n’est que les privilèges accordés aux libraires éditant Nostradamus ne visaient jamais, à notre connaissance, un ouvrage particulier mais plusieurs catégories, au nombre de trois : Almanachs, pronostications, présages. (cf. nos Documents, p. 201).

Cela dit, quand on examine le privilège concernant les Prophéties datées de l’an 1569 dédiées à la puissance divine & la Nation Française de « M. Anthoine Crespin Nostradamus », il vise cet unique ouvrage (cf. Documents, p. 206) comme pour Macé Bonhomme 1555 où sont uniquement visées « Les Prophéties de Michel Nostradamus ». Le parallèle est d’ailleurs intéressant entre ces deux « Prophéties », vu que, selon nous, Crespin représentait le camp protestant et Michel Nostradamus, par delà la mort, le camp ligueur jusqu’à ce que toutes ces pièces antidatées, les unes comme les autres, soient fondues en un seul volume, néanmoins divisé en deux volets distincts, le second n’étant d’ailleurs, en règle générale, pas daté. On ne doit pas sous estimer la surenchère entre les deux camps quant à la production de documents de plus en plus anciens ou de plus en plus en expansion quantitative, faisant dire et prédire à Nostradamus ou à Crespin Nostradamus ce qui convenait au camp concerné.

II La double « comptabilité » des éditions néo-centuriques

Nous commencerons par l’étude des éditions Benoist Rigaud. Le catalogue Scheler comporte (pp. 56 et 58) un exemplaire que nous avons pu examiner et qui d’ailleurs détermine les limites chronologiques du titre du dit catalogue, dressé par Michel Scognamillo : « 1555-1591 ». Cette date de 1591 ne correspond à aucune date présente sur l’édition non datée Benoist Rigaud dont il s’agit. Il s’agit d’une estimation proposée par certains bibliographes. Date éminemment improbable car venant trop tôt pour rendre compte de l’existence du quatrain IX, 86, au second volet, relatif, selon nous, au couronnement de Chartres qui ne fut pas planifié avant la fin de 1593..Mais il est possible que des éditions ne comportant pas ce quatrain sous sa forme retouchée aient paru – et pas forcément avec le référencement par centurie et numéro de quatrain - ou en tout cas qu’un certain matériau devant servi à la production des dites éditions ait préexisté de quelques années. Cela dit, il est tentant de penser qu’aucune édition du second volet n’ait existé avant l’approche ou le lendemain du couronnement de 1594, à partir de l’Epitre au Roi de 1556/1557. Quid alors du témoignage de Crespin citant l’année 1558 pour une épitre au Roi (cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus) et fournissant divers versets centuriques relevant du second volet dès 1572 ? Il s’agit vraisemblablement d’un faux lié à un certain revival crespinien des années 1590/(cf RCN, pp.127-128)

Si l’on examine cette édition, en la comparant à une édition datée de 1568, sous la houlette du même libraire (cf. page de titre des deux volets, catalogue Thomas Scheler, pp.41 et 44) les similitudes sont frappantes : mêmes vignettes spécifiques à chaque volet, même mise en page, même vignette centrale, reprise selon nous des pages de titre des almanachs de Barbe Regnault. Bien plus, les seconds volets sont strictement identiques puisqu’ils ne comportent de date, ni l’un ni l’autre. On comprend mieux d’ailleurs l’absence de date : soit on ne mettait pas de date, soit l’on plaçait la date dans un espace vide. Il n’était donc pas nécessaire de changer la date et de toute façon, cela n’affectait que le premier volet, qui correspond en fait à la page de titre de tout l’ensemble, le second volet n’ayant d’autonomie. Malheureusement, l’on n’a pas conservé le second volet de l’édition Antoine du Rosne Bibl. Utrecht. Il était probablement daté du fait qu’il comportait l’Epitre à Henri II de juin 1558. Mais par la suite, pour les éditions postérieures, cela ne s’avéra plus utile.

Il suffisait donc de glisser 1568 dans certaines pages de titre ou de laisser en blanc :

A LYON

PAR BENOIST RIGAUD

[1568] optionnel

Avec permission

Cette dernière formule ne correspondant en fait à aucun document, dans le corps du texte, tant pour les éditions 1568 que les éditions sans date. C’était d’ailleurs préférable car il aurait fallu deux « permissions » différentes selon que l’on se situait en 1568 ou à la fin du siècle.

Dans les autres cas, l’analyse est sensiblement plus complexe et un tel parallèle au titre est rare. Un des parallèles les plus simples est celui de l’édition parisienne Veuve N. Buffet (également au Catalogue Thomas Scheler p. 49) datée de 1561 mais quasiment superposable sur les éditions parisiennes datées de1588- 1589, (Veuve Nicolas Roffet, Pierre Ménier, Charles Roger) tant au titre qu’au contenu. Quelques différences cependant assez mineures, il nous semble : 38 articles « additionnés », dans l’édition 1561 au lieu de 39 au titre des éditions ligueuses, une centurie VIII de 6 quatrains sous la Ligue, inexistante dans l’édition 1561. En revanche, le même étrange décalage entre titre et contenu est observable.

Prenons d’autres exemples concernant les éditions Antoine du Rosne 1557. A peu de choses près, l’exemplaire de la Bibl. de Budapest correspond à l’édition d’Anvers 1590, si ce n’est la présence de 5 quatrains supplémentaires à la VIIIe centurie. Même absence d’avertissement latin et de quatrain 100 de la centurie VI, outre le fait que ces éditions sont à un seul volet. En revanche, les pages de titre différent du fait que l’édition d’Anvers ne comporte pas en son titre de vignette nostradamique mais la marque du libraire. Le texte est proche à part le fait que dans un cas l’on a Les grandes et merveilleuses prédictions et dans l’autre Prophéties mais à la dernière page, il est renvoyé à une édition des « Professies » (sic), Avignon 1555. La même erreur grammaticale est en outre observable au titre « dont il en y a trois cens » au lieu de ‘dont il y en a », comme dans les éditions Benoist Rigaud. Et bien entendu, le libraire n’est pas le même alors qu’avec Benoist Rigaud, l’on disposait d’un libraire dont la carrière s’étendait sur une trentaine d’années mais selon nous les éditions Rigaud sont toutes postérieures à la mort du dit Rigaud en 1597.

En ce qui concerne Antoine du Rosne, 1557 Utrecht, on a affaire à deux volets calqués sur les éditions Benoist Rigaud, passées par le moule troyen : on y rétablit l’avertissement latin et on ajoute 2 quatrains à la VIIe centurie. Les éditions Rigaud ne sont en fait, dans ce système, que la réédition d’Antoine du Rosne Utrecht, ce qui explique qu’elles ne comportent aucun trait posthume par rapport à la récente mort de Nostradamus. Mais c’est finalement l’option 1568 qui aura prévalu sur l’option 1557, d’où la multiplicité des éditions Benoist Rigaud, recensée et classée par Patrice Guinard, lequel s’en tient à la thèse d’une véritable parution en 1568, donc avant tout le processus enclenché sous la Ligue, dont selon nous les dites éditions Rigaud sont l’aboutissement, la thèse inverse voulant que le processus ligueur aurait été une dégradation des éditions Rigaud à deux volets. Un scénario bien différents et impliquant non plus une dynamique constructive mais une dynamique destructive.

Terminons avec le cas de Macé Bonhomme 1555. De quelle édition est-issue une telle édition ? On dispose certes d’une édition 1588 Rouen Raphaël du Petit Val « divisée en 4 centuries », du moins est-ce qui est indiqué au titre externe , mais ne correspond guère à son contenu, son ancien possesseur Daniel Ruzo assurant – (Testament de Nostradamus, op. cit, p. 282) qu’il n’y a pas trace de division en centuries à l’intérieur. En cela, le contenu se distingue de la présentation Macé Bonhomme en 4 centuries, laquelle correspond en revanche au titre de 1588. Inversement, le titre Macé Bonhomme, lui n’indique pas de centuries, en son titre et correspond dès lors au contenu de l’édition Rouen 1588. Tout se passe comme si l’on avait interverti les titres. Mais cette fois, le titre correspond à une antidatation et non pas à une postdatation. On en arrive à supposer que ces décalages entre titre et contenu ne relèvent pas nécessairement d’une quelconque stratégie mais bien d’un manque de maîtrise du domaine, de confusions et d’interversions de toutes sortes commises par les faussaires et leurs éventuels assistants, noyés dans la masse de la documentation comme le sont d’ailleurs de nos jours ceux qui abordent la délicate et fort intriquée et embrouillée question de l’histoire des éditions centuriques..

On ne connait pas, en définitive, d’édition des années 1588 qui corresponde à la division en 4 centuries, avec 53 quatrains à la IV mais les éditions ligueuses- y compris l’édition Veuve Buffet, 1561 qui fait absolument partie de cet ensemble- ont gardé la trace d’une telle édition puisqu’elle signale une addition à la IV, commençant au 54e quatrain. Chez la veuve Buffet, l’addition commence une page nouvelle alors que pour les trois autres éditions parisiennes, dont celle-ci dérive, l’addition s’effectue sur la même page que la partie d’origine. Mais l’édition Macé Bonhomme à 4 centuries n’en reste pas moins plus tardive, par son contenu, que l’édition De Rouen 1588 qui n’a que 49 quatrains à la IV. Ce qui nous amène à la réflexion suivante : les éditions antidatées ne représentent qu’une petite part de toutes les éditions produites à partir des années 1580.En aucune façon, il ne faudrait croire qu’à chaque édition de cette période (1580-1600) correspond nécessairement une édition antidatée des années 1550-1560. En revanche, à chaque édition antidatée correspond ou devrait correspondre, une édition plus tardive dont elle est issue car il ne ferait pas sens qu’une progression de contenu ne se produise qu’au niveau des éditions antidatées, cela déséquilibrerait le processus global de formation.

Pour conclure, nous donnerons ci-dessous la chronologie des titres des éditions centuriques, pour le premier volet, sans fournir de dates mais en citant les éditions attestant des dits titres. Il n’est pas ici question du contenu des éditions de référence mais uniquement du titre.

1 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. (-cf. Macé Bonhomme 1555 et permission)

Note : on n’est pas encore dans un découpage centurique d’où cette centurie IV qui tient au fait de ce non découpage.

2 Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus, divisées en 4 centuries (Rouen Raphael du Petit Val, 1588)

Note : on entame une Ive Centurie à 49/53 quatrains.

3 Les Centuries et merveilleuses prédictions contenant six centuries

Note ; sur le modèle Pierre Valentin 16112 indiquant au titre sept et non six centuries) et qui n’implique pas encore 600 quatrains. Il s’agit ici du contenu des éditions ligueuses à mi-chemin entre quatre centuries et six centuries pleines, la VIe centurie s’arrêtant à 71 quatrains.(‘cf. Benazra, RCN, p. 121 qui envisage une édition s’arrêtant à ce stade, sans le supplément de quatrains, présenté sous le terme « septiesme centurie » et qui ne parvient pas à compléter la Vie centurie.

4 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (page de titre édition Antoine du Rosne Budapest 1557 ; Rouen 1589, Anvers, 1590 avec le titre Grandes et merveilleuses prédictions)

Note : on passe de 353 quatrains à 600 en comptant les 53 quatrains de la IV.

5 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées (..) Revues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de trente huit/neuf articles ( Buffet 1561, Ed ligueuses1588-1589)

Note : on ajoute une centurie VII à 35/38/39/40/42 quatrains aux 6 centuries. L’édition à 38 articles serait postérieure au contenu de l’édition Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII.

6 Les Centuries et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus contenant sept centuries ; dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (cf Ed. Valentin, Rouen 1611)

Note : titre assez bancal.

7 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur (page de titre Edition Antoine du Rosne, Utrecht, 1557, Benoist Rigaud 1568) . Cette présentation annonce un second volet à la suite.

Note : ce titre du premier volet ne rend pas compte de la septième centurie comme le faisait le titre n° 4..

Pour en revenir aux Editions Benoist Rigaud dont il a été question au début de notre étude, l’’on ne peut que constater que la thèse d’une première édition à 10 centuries effectuée en 1568 ne tient pas puisqu’il est précisé « Adioustées de nouveau par ledict Autheur », ce qui implique que cela se produise de son vivant, donc au plus tard en 1566. En ce sens, le choix de l’année 1566 pour les éditions Pierre Rigaud se révélait assez judicieux – en ce qu’il laissait encore possible le fait que Nostradamus ait procédé à une ultime addition. Il permettait aussi d’intégrer l’addition de 1560, ce qui n’était pas le cas pour Antoine du Rosne 1557 qui comportait, sans le signaler, au titre, une centurie VII. En fait, l’édition Antoine du Rosne, au regard de son contenu, devrait porter le titre 4. Ces éditions rigaldiennes, portant toutes le titre « Prophéties » et le plus souvent lyonnaises, laisseront la place aux éditions troyennes, rouennaises et hollandaises, à partir des années 1630, les premières, conservant le titre « Prophéties » et se référant d’ailleurs à Rigaud, sous des formes antidatées (1605 (Du Ruau, Troyes), 1611 (Chevillot, Troyes) et les autres celui de « Vrayes Centuries « (Rouen , 1649) puis de « Vraies Centuries et Prophéties » (Leyde, 1650). Cette nouvelle génération comporte des additions, notamment en ce qui concerne les sixains introduits par une Epitre à Henri IV, datée de 1605; éléments totalement absents des éditions rigaldiennes de la fin du xVIE et du début du XVIIe siècle. La série rigaldienne ne reprendra le dessus qu’au XVIIIe siècle avec les éditions maladroitement antidatées Pierre Rigaud 1566, produites à Avignon vers 1716, alors que le matériau biographique concernant Nostradamus s’étoffe. On notera que le nom de Pierre Chevillot sera instrumenté au XVIIe siècle pour produire des contrefaçons de 1640, datées 1611, probablement par ses héritiers.

Les années 1620 correspondront, en fait, en dépit des apparences dues à des contrefaçons antidatées qui faussent les perspectives chronologiques, à un net reflux de la production centurique qui ne reprendra qu’à la fin de la décennie suivante, à la suite de la naissance longtemps attendue du dauphin, le futur Louis XIV, en 1638. En effet, les éditions lyonnaises et marseillaises censées parues dans les années 1620 sont antidatées.(cf RCN, pp.187 et seq) et comportent toutes le quatrain cryptogramme pour 1660. Elles sont en fait calquées sur le modèle troyen -avec les sixains et l’épitre de 1605 à Henri IV- et plus du tout sur le modèle rigaldien. Nous pensons notamment aux éditions datées de 1627 et 1633. En fait le type rigaldien à dix centuries sans autres additions va s’épuiser dès le début du XVIIe siècle (cf RCN, pp/ 145) avec des éditions non datées Pierre Rigaud et Jean Poyet/Jean Didier, les éditions Poyet reparaissant prétendument en 1627 ( cf RCN, pp. 187 et seq) mais cette fois dotées du supplément troyen, et notamment du quatrain cryptogramme pour 1660.Mais il s’agit en fait d’éditions antidatées qu’il faut situer vers 1640, liées au renouveau troyen, fort prolixe et qui meublera rétroactivement le premier tiers du XVIIe siècle..(1605, 1611, 1627, 1633). On trouve même chez Poyet un troisiéme volet à part entière, c'est-à-dire avec reprise du nom du libraire, intitulé « Centurie XI » (cf RCN, p. 189) et comportant les sixains et les quelques quatrains des centuries XI et XII du Janus Gallicus. Le XVIIe siècle n’a rien à envier au XVIe siècle en matière de contrefaçons centuriques puisqu’il déploie à la mort de Louis XIII toute une série d’éditions antidatées à partir de 1605, date correspondant à une Epitre à Henri IV accompagnant des sixains, tout comme la date de 1555 de la Préface à César avait donné lieu à des éditions à partir de cette année là..

C’est dire que la pratique de l’antidation est devenue une tradition de la production néo-centurique, entre 1580 et 1640, environ et qu’elle se prolongera, comme on sait jusqu’au début du XVIIIe siècle avec la contrefaçon régentienne de 1716 (début de la « Régence »), ce qui correspond à un long dix septiéme siècle, lié aux trois premiers rois Bourbon. Rappelons qu’Antoine Bourbon ajoutera à son édition une Epitre à Louis XIV, non datée, due au chevalier Jacques de Jant, parue au début des années 1670, et qui est tout à fait en phase avec le quatrain cryptogramme pour 1660. Le troisiéme Bourbon, qui a alors une trentaine d’années est enfin en adéquation avec toute l’entreprise néo-centurique et avec un prophétisme qui s’articule sur une réussite étonamment précoce. On peut évidemment nous objecter que rien n’empêchait de lancer des prophéties à long terme, dès le début du XVIIe siècle mais c’est ignorer à quel point le prophétisme est lié aux enjeux politiques du moment et vise un prince qui, au minimum, doit être déjà né, et non ses éventuels successeurs virtuels. Une échéance à 20-30 ans de distance constitue un calendrier politico-prophétique optimal, permettant une mise en orbite efficace. Ainsi Louis XIII, né en 1601, avait-il commencé à faire de l’ombre à son père, bien avant de lui succéder mais la naissance de son premier fils – alors que le roi approche de ses quarante ans- enclenchera une nouvelle dynamique qui profitera à un nouveau sursaut néo-centurique, lequel d’ailleurs se nourrira de la période troublée de la Fronde, faisant ainsi pendant à celle de la Ligue, dont on sait à quel point elle fut favorable à notre corpus, à, grosso modo, soixante ans d’écart...

Jacques Halbronn

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