Thursday 1 March 2012

L’étude négligée des épîtres centuriques en prose

 

10 L’étude négligée des épîtres centuriques en prose

Il nous apparait que l’on se doit d’être très exigeant par rapport à la compréhension des textes en prose alors même que les quatrains ne sauraient être considérés que comme un assemblage assez imprévisible. Etrangement, on a parfois l’impression que certains commentateurs cherchent plus à donner sens aux quatrains qu’aux épîtres.

. Nous avons montré pour la partie introductive de la Préface, la version Besson ne souffrait pas de cette construction étrange que note P. Guinard56. Ci-dessous sa « traduction » et son commentaire :

« Ton arrivée tardive, César Nostradame mon fils, m'a laissé beaucoup de temps, passé en veillées nocturnes, pour transmettre par l'écriture ce que l'essence divine m'a permis de connaître au moyen des révolutions astronomiques, afin de t'en laisser la trace après ma mort et pour le commun profit des hommes. » Et Guinard d’ajouter pour expliquer qu’il ne s’en tient pas à la lettre du texte :
« Cette entrée en matière, alambiquée pour l'œil moderne, est caractéristique du style du provençal ; l'ordre des compléments est parfois aléatoire, et la multitude des compléments et des éléments de la phrase atteint parfois une complexité inextricable : autrement dit, c'est le style d'un énoncé latin, transposé au français

On note que ce faisant Guinard passe à côté du titre du Mémoire et mêle du mot « Mémoire » lui-même, que nous avons pu restituer grâce notamment à la présentation plus cohérente de Besson. :Mémoire des singularitez & absconses evenemens par calcul & astronomiques revolutions La fin de la Préface, faisant suite à l’interpolation, recoupe un tel titre ;

« Viens asture mon fils que je trouve par mes revolutions (…) Il y aura mille evenements qui surviendront »

On retrouve cette expression dans le titre d’un ouvrage de Pierre Belon (1517 -1564), paru à Paris en 1553, chez G. Corrozet : Les observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays estranges, rédigées en trois livres, réédité et augmenté à Anvers en 1555, chez Jean Steelsius. On est loin de l’interprétation qui voudrait que mémoire ne signifie que souvenir, comme chez P.Brind’amour (Droz, 1996), ne renvoyant donc pas à un document spécifique.

Ce qui n’est pas sans évoquer les sous titres de certaines éditions centuriques, et ce dès le titre de l’édition de Rouen à 4 centuries (1588) : Grandes et Merveilleuses Prédictions (…)esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe dans le monde tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde ».

Mais nous trouvons une formule quasi identique dans la version Besson – très bréve comparée aux autres versions- de l’épître à Henri II «prophétiques supputations astronomiques correspondant aux ans, mois, semaines & jours comme aussi aux diverses régions , contrées et villes, tant de notre Europe que des autres parties du monde pour les événements & singularités obstruses (lire abstruses) qui écloront dans leur temps fixé». On trouve plus loin dans la Préface « déclarant pour le commun advenement par obstruses (sic) & perplexes sentences les causes futures, mesmes(surtout) les plus urgentes) «

Pour en revenir aux soupçons que l’on ne se privera pas d’exprimer vis-à-vis de la version française de la traduction anglaise voire vis-à-vis de la version anglaise elle-même – corpus largement ignoré des nostradamologues francophones et a contrario devenu classique dans les pays de langue anglaise- et il y a là apparemment un manque de concertation entre les uns et les autres-il nous semble tout à fait hors de question que l’on ait supprimé des passage de la Préface à César et que ces suppressions, survenues dans le courant du xVIIe siècle, aient précisément affecté des passages relevant d’une certaine forme de plagiat. On est bien là devant un cas exemplaire d’interpolation qui n’est pas sans évoquer celui des Significations de l’Eclipse de 1559, dont l’emprunt à l’Eclipsium de Leovitius reléve lui aussi d’un certain collage, d’un texte interpolé, un tel phénoméne caractérisant les épîtres centuriques (à César comme à Henri II). Notons que tous ces emprunts sont bien connus mais qu’ils n’ont pas conduit, pour autant, à la thèse de l’interpolation, comme s’ils avaient fait partie du texte dès sa conception. Pour renforcer et étayer celle-ci- dossier qui vient s’ajouter à la question des éditions antidatées et postdatées ainsi notamment que du décalage entre titre et contenu- ce qui n’est pas sans faire songer aux mœurs du coucou- il fallait la possibilité de comparer un texte avec et un texte sans ces additions., c’’est précisément ce que nous fournit la comparaison des versions de la Préface à César. Précisons que la traduction anglaise correspond à un état plus tardif du texte français que la version Besson, puisqu’elle comporte des interpolations absentes dans la dite version et ce, pour les deux épîtres centuriques..

Nous ajouterons qu’il est deux maux dont auront souffert, entre autres, les études nostradamologiques : une certaine incurie à l’endroit des textes en prose, dispensant de rétablir un sens obvie et une certaine désinvolture au regard de l’argument post eventum comme permettant de rétablir une chronologie des versions et des variantes. Nous pronons, d’une part l’’idée selon laquelle quand un texte semblait tronqué, il importe de rechercher des éditions ou des documents dans lesquels le texte était plus cohérent et de l’autre, le refus d’ignorer l’adéquation par trop évidente entre un texte et un événement, ce qui est le fondement de tout processus de re-datation par rapport à l’antidatation comme par rapport à la post-datation.

III La vie de Nostradamus

Nous avons insisté sur la mission de récupération systématique –incluant la production de documents d’époque par-dessus le marché- et notamment signalé la dette des éditions du XVIIe siècle à l’égard du Janus Gallicus (1594). Cela vaut aussi pour un document qui est intégré parmi les textes en prose de ce corpus nostradamique extensif qui va marquer le siècle, à savoir le Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame ; iadis conseiller et médecin ordinaire des rois treschrestiens Henry II (lire second) du nom, François II (lire second), et Charles IX (lire neuviéme) qui va reparaitre peu après, au sein des éditions centuriques sous le titre suivant « La vie de Maistre Michel Nostradamus, Médecin ordinaire du Roy Henry II. Roi de France », lequel est tronqué puisqu’il ne signale qu’Henri II et non deux de ses fils . Apparemment absente de toute la première moitié du siècle, elle reparait en 1649, dans une édition rouennaise, due à un collectif de libraire sous le titre de Vrayes Centuries (cf RCN, p. 206). A partir de là , elle figurera dans nombre d’éditions de la seconde moitié du siècle, notamment en Hollande mais aussi dans l’édition Antoine Besson (c. 1691)

Ce qui est remarquable, c’est que cette notice nécrologique ne soit pas parue au lendemain de la mort de Nostradamus. Rappelons que les prétendues éditions Benoist Rigaud ne signalent même pas son tout récent décés. On peut d’ailleurs se demander si lors des vraies premières éditions, dans les années 1580, une telle notice ne serait pas parue, pour resituer un personnage déjà un peu ancien et peu ou prou oublié, encore que ses imitateurs aient pris le relais souvent en son nom. De même, il faudra attendre la seconce moitié du siècle pour que des éditions centuriques paraissent accompagnées d’une liste de prévisions réussies, alors que cela aurait du être le cas dès l’origine. Comment expliquer ce « mystère » ? Avant 1594, aucun commentaire ne parut, même pas d’ailleurs de pseudo-édition de commentaires qui aurait été antidaté. Il faudra encore attendre la période de la Fronde, jusqu’à l’entreprise avortée du dominicain Giffré de Réchac (Eclaircissement, 1656) et surtout la décennie 1660, à Amsterdam, pour que le processsus exégétique se mettre véritablement en place.57 Initialement, à partir donc des années 1580, le systéme fonctionnait autrement, par un apport de nouveaux quatrains/sixains et par des retouches des documents, d’une édition à l’autre. On dira, que l’on est passé de la phase du signifiant à celle du signifié. Quand le signifiant, c'est-à-dire, le texte n’a plus pu être chartraugmenté, on bacsula vers le recours à la glose. Il y eut certes une première tentative au début des années 1590 avec Jean-Aimé de Chavigny –avec une réédition parisienne en 1596- mais cela fit long feu et il fallut attendre une nouvelle période de troubles, à partir de 1649, pour que le commentaire devienne la voie royale du nostradamisme.

Il est clair que la Vita, insérée dans le Janus Gallicus puis dans le Janus François- nous verrons que les deux éditions datées de 1594 qui nous sont parvenues différent - est le prototype des biographies de Nostradamus qui suivront jusqu’à nos jours. Nostradamus « se mit à escrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi (D’esprit divin etc ) lesquelles il garda long temps sans les vouloir publier (…) A la fin (il) les mit en lumière » et sur ces entrefaites Henri II « l’envoya quèrir pour venir en Cour l’an de grâce 1556 »

Il pourrait y avoir eu une interpolation avec « & autres présages » vu que la phrase est assez bancale avec l’usage du féminin pluriel (lesquelles) faisant suite à un masculin pluriel (Présages) : « Centuries & autres présages lesquelles il garda « à moins que cela ne soit – ce qui nous semble plus probable, l’inverse : il « se mit à escrire ses présages commençant ainsi « D’esprit divin etc », premier quatrain de la série des Présages, mais aussi du Janus Gallicus, le terme renvoyant ici à des quatrains. Selon nous, il est possible que le rédacteur des « quatrains » des almanachs ait pu être Jean de Chevigny.. Si Henri II invita Nostradamus à la Cour, c’est du fait de ses présages et non de ses centuries, et pour cause et ce ne fut pas en 1556 mais en 1555, ce point étant largement admis par les biographes. Mais comme c’est 1556 qui figure dans le « Brief Discours », l’on peut se demander si ce n’est pas cette erreur qui aura conduit à (re)dater l’Epitre au Roi, écrite au retour de la Cour, pour juin 1558, ce qui décidément était bien tardif, mais moins pour 1556 que pour 1555..

Le Recueil des Présages Prosaïques ne comporte pas le texte intégral des Présages Merveilleux mais uniquement des éléments ayant été retrouvés dans une attaque (cf B. Chevignard, Présages, pp. 281 et seq) : « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy Tres Chrestien. Passages sugillez et calomniez par un des haineux de l’auteur pour ne les avoir entendus et retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558 ». Il s’agit du Monstre d’Abus, Paris, Barbe Regnault, 1558 qui vient servir de « garant » à l’Epitre au Roi qu’il mentionne.. On peut d’ailleurs penser que si ce texte avait figuré dans le Recueil, il différerait quelque peu de l’imprimé, la version imprimée du dit Recueil étant amplifiée, ce qui ressort de la comparaison avec la production conservée, comme nous l’avons montré en ce qui concerne l’almanach pour la même année 1557.

L’auteur de cette « vie » mentionne César « auquel il a dédié ses Centuries premières » et fait référence aux « Commentaires de son dit Père » :

« duquel (César) nous devons esperer de grandes choses si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de son dit père, notamment sur l’an 1559 & mois de iuillet où je renvoye le lecteur ». Or, comment le lecteur auquel on s’adresse ainsi pourrait-il aller consulter deux quatrains de l’an 1559 ? Certes le Janus Gallicus comporte-t-il ça et là, en ordre dispersé, quelques quatrains des almanachs mais cela nous semble bien plutôt introduire le Recueil des Présages Prosaïques, lequel présente les quatrains d’almanachs dans l’ordre chronologique, que le Janus Gallicus. Notons que le Janus François- il y a une édition avec un titre latin et une autre avec un titre français- porte comme sous titre « extraite et coligée des centuries et autres commentaires de M. Michel Nostradamus. ²Mais le titre de l’édition latine ne parle que des tetrastichis, c'est-à-dire des quatrains.

En ce qui concerne les informations sur le corpus centurique, nous lisons que Nostradamus ‘ » a escrit XII centuries de prédictions comprises briefvement par quatrains, que du mot Grec il a intitulé Prophéties, dont trois se trouvent imparfaites, la VII, XI & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison & tiennent encore pour la malice du temps, en fin nous leur ouvrirons la porte ». Il y a là une erreur, les trois centuries en question sont la VII, la XI et la XII.

Chavigny se référe explicitement au Recueil de Présages Prosaïques Rappelons que le nom de Chavigny figure sur la page de titre d’un manuscrit de cet ouvrage (Bibl. Lyon La Part Dieu) rassemblant la production en prose mais aussi les quatrains des almanachs, sans aucune mention des centuries, également absentes de son volume de correspondance: « Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis (depuis) l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moiy la plupart & rédigez en XII livres sont dignes d’estre recommandés à la postérité »

Chavigny distingue à la fin du « Brief Discours » deux types de textes de Nostradamus d’une part les quatrains des Centuries, de l’autre les » présages en prose » (parus entre 1550 et 1567) : lesquels « comprennent nostre histoire d’environ 100 ans & tous nos troubles, guerres & menées dez un bout jusques à l’autre », alors que les « centuries » « s’estendent en beaucoup de longs siècles ». Mais il semble qu’initialement, Chavigny n’ait pas eu l’intention de regrouper et de combiner au sein d’un seul volume, les deux types de travaux puisqu’il écrit au sujet des Centuries : « dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Autheur qui bien tost verra la lumière où nous remettons le Lecteur, ensemble au dialogue Latin qui cy après sera rapporté ». Quel est ce dialogue latin auquel il est fait allusion ? Il s’agit de l’auteur débattant avec Jean Dorat , comme il est indiqué explicitement dans la version latine de la Vita.». «in ea quoque dialogo, quem ad Ioan. Auratum aliquot ante annos destinavimus & huic opusculo attexuimus » Et de fait, l’on trouve dans l’édition au titre français Janus François, le texte de Dorat, mais-ce qui est exceptionnel, seulement en latin. : Ad Io Auratum poetam et interpretem (….) Epistola. C’est un dialogue entre Auratus (Dorat) et Collector (Chavigny, il se présente au titre sous ce nom). Rappelons que selon Dorat avait servi pour produire un faux daté de 1570, consacré à la naissance d’un Androgyn, et dont la Préface était due à Jean de Chevigny, traducteur vers le français du latin du poéte de la Pléiade.

Rappelons l’existence d’un livret intitulé L’ Androgyn58 né à Paris le XXI. Iuillet MDLXX illustré des vers latins de Iean Dorat,Poété du Roy Treschrestien, contenans l’interprétation de ce monstre. Avec la traduction d’iceux en nosre vulgaire François, dédiéeà Monseigneur le Président l’Archer, Lyon, Michel Jove. L’Epitre à Michel Larcher, signée I. de Chevigny, est du 19 août 1570. On a là un autre exemple de texte bilingue comportant un Carmen Ioan. Aurati poetae Regii De monstro Androgyno Lutetiae nato annon Domini 1570.21. Iulii. Elle est suivie d’une traduction du latin de Jean Dorat. Cette épître est remarquable par un passage qu’elle comporte-et que nous avons été le premier à signaler :

« Pour ce donc que luy mesme (Dorat) confesse qu’il a profité et allégué les carmes d’un Prophéte qui fut Monsieur de Nostradame (auquel en son vivant ay esté fort familier et amy & duquel j’ay encores rière moy tous les œuvres tant en oraison prose que tournée, que bientost je mettray en lumière) je vous en ay bien voulu donner ce contentement. C’est la quatrain quarante cinquiiéme de sa seconde Centurie prophétique, ou il (Nostradamus) dit ainsi

Trop le ciel pleure, Androgyn procrée

Près de ce ciel sang humain respandu

Par mors trop tarde grand peuple recrée

Tard & tost vient le secours attendu

Il s’agit d’une pièce essentielle du dossier en ce qu’elle semblerait au moins valider la préexistence d’une édition déjà totalement structurée en centuries et quatrains en cette année 1570. Or, il semble bien que la première édition des prophéties de quatrains n’était pas encore « divisée » en centuries, comme en témoigne l’édition Rouen 1588 Raphaël du Petit Val, décrite par Daniel Ruzo (Testament, op. cit., p 282) Selon nous, Chavigny se sera contenté – signant Jean de Chevigny- de récupérer dans les œuvres latines complétes de Dorat, parues en 1586, le dit texte latin. De monstro Androgyno Lutetiae nato anno Domini 1570.21. Iulii. L’intitulé lui-même a un caractère rétrospectif. Ce qui repose la question des recoupements entre Jean de Chevigny et Jean Aimé de Chavigny et l’on peut se demander, en effet, non pas si tant si les deux personnages ne faisaient qu’un mais bien plutôt si Chavigny n’a pas produit sous le nom de Chevigny,.59 D’ailleurs, dans le Recueil de Présages Prosaïques (cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op cit. p. 283), Chavigny se compte parmi ceux qui écrivirent à son sujet, sans toutefois préciser à quelle date il l’aurait fait. En tout cas, l’acquaintance entre Chavigny/Chevigny et Dorat est doublement attestée. Le paralléle pourrait d’ailleurs être aussi validé pour le cas Benoist Rigaud, quant à ce lien entre les années 1560-1570 et les années 1590. Dans le cas Rigaud, il ne s’agit pas d’une imposture quant à la personne puisque le dit Rigaud exerçait déjà en 1566-1568 mais d’une imposture quant à son activité centurique..

Mais pourquoi la version française de la Vita du Janus Gallicus ne mentionne-t-elle plus nommément Dorat tout en annonçant un Dialogue ? Cela nous conduit à penser que la version latine aura précédé la version française et qu’ayant décidé de ne pas fournir en français, pour quelque raison, le texte de l’épître à Dorat, on n’aura pas pour autant supprimé la référence à un dialogue.

Robert Benazra, RCN, pp. 130 et seq) place, à tort, l’édition au titre français avant celle au titre latin. Il est vrai que la présentation de ces deux éditions peut déconcerter : on pourrait croire, au premier abord, que les deux volumes ne différent que par leur page de titre, puisque les textes qui s’y trouvent yont, dans un cas comme dans l’autre, rendus tant en français qu’en latin. Mais à y regarder de plus près, comme on vient de le voir pour la fin de la Vita, Dorat est mentionné dans la version latine de cette biographie et supprimé dans la version française qui lui fait pendant, ce qui n’empêche pas d’ailleurs que le dit dialogue est bel et bien maintenu, mais seulement en latin (pp. 31-34 ,titre français). On est là placé devant un volume à plusieurs niveaux de lecture

Nous sommes là dans une problématique complexe qui est celle des recueils de pièces60. Dans le cas du Janus Gallicus, il nous semble que la Vita a du paraitre avec le dialogue avec Dorat ; peu avant d’être intégrée dans le dit recueil. Elle le fut d’abord dans le volume au titre latin « Janus Gallicus » puis reprise dans le volume au titre françois « Janus François ». Le dialogue avec Dorat ne fait d’ailleurs pas suite à sa mention dans la Vita laquelle se termine en p. 12 alors que le dialogue débute en p. 31. On a l’impression que de ce dialogue a du faire probléme mais que l’on ne l’a pas totalement supprimé, non sans quelque peu tenter de brouiller les pistes. Rappelons le cas de la Prognostication de l’advénement à la couronne de France de tres illuste (…)Prince Henry de Bourbon (..) le tout tiré des Centuries & autres commentaires de M. Michel de Nostradamus (..) par Jean Aimes de Chavigny, Paris, Pierre Sevestre (Bibl. Mazaine, Paris) que l’on retrouve au sein du Janus Gallicus sous le titre de De l’avenement à la Couronne de France, tant en français qu’en latin.

Relevons une erreur dans la récupération du « Brief Discours » sera repris au XVIIe siècle dans les recueils centuriques. Les centuries incomplétes sont la VII, la XI et la XII et non comme on lira dans les diverses éditions, la VII, la IX et la XI. Cette coquille ne sera jamais corrigée, ce qui indique une transmission non critique, même de la part de certains libraires relativement attentifs comme un Pierre du Ruau, au début du XVIIe siècle alors même que ce point ne fait guè_re débat.

Par ailleurs, Antoine Besson ne conservera pas les dernières lignes de la Vi de Nostradamus, dont il vient d’être question en rapport avec un dialogue qui devrait faire suivre. La dite Vie se termine alors ainsi : « Il avoit un autre frère nommé jean Nostradamus qui estoit Procureur au Parlement d’Aix, il composa l’Histoire de Provence & la Vie des Poétes du même Païs. »

En 1789, parait La Vie et le Testament de Michel Nostradamus, Paris, Gattey (BNF). Dans l’Avertisssement, note R. Benazra (RCN, p. 330), il est indiqué que le texte est tiré d’ »un manuscrit fait par Edme Chavigny, connu par différents bons ouvrages sous le nom de Janus Gallicus.(p.2), ce qui a pu faire croire, selon le dit Benazra « à certains auteurs pressés que l’ouvrage a esté composé par Jean-Aimé de Chavigny ». En fait, l’ouvrage emprunte à une biographie du début du XVIIIe siècle laquelle,elle-même, recourt partiellement au « Brief Discours de la Vie » ou à la « Vie de Nostradamus » issue du dit JanusGallicus.

IV L’Epître à Henri IV

Ce que nous retiendrons de ce document, c’est qu’il correspond à une tentative de constituer un troisiéme volet, introduisant une nouvelle série de « prophéties ou pronostications » -notons la synonymie des termes reprise dans l’édition anglaise de 1672 cette fois sous la forme de 58 sixains : ce «livret non moins digne et admirable que les autres deux Livres qu’il fit dont le dernier finit en l’an 1597, traictant de ce qui arrivera en ce siècle ». On apprend, dans cette épître datée de 1605, que le second volet est censé ne couvrir les événements que jusqu’à la fin du siècle.

Etrangement, la pièce se référé à un Nostradamus ayant exercé auprès du seul Charles IX :

Prédictions admirables pour les ans courans de ce siecle. Recueiillies des Mémoires de feu M. Michel Nostradamus, (de son) vivant Médecin du Roy Charles IX et l’un des plus excellens astronomes qui furent jamais

L’usage du mot « Mémoires » nous intéresse au regard de ce que nous avons noté pour la Préface à César.

L’imitation du ton de l’Epître à Henri II est assez flagrante : « j’ay pris la hardiesse (moy indigne) de vous les présenter transcrit en ce petit livret

Cette épître est dans le droit fil d’un scénario selon lequel un flux continu de prophéties de Nostradamus va se déverser, ce qui exclut, ipso facto, que tout soit paru dès l’origine, c'est-à-dire du vivant de Nostradamus.

Cette position est d’ailleurs celle du Brief Discours de la Vie de Nostradamus :

Brief Discours

« Ces dernières (centuries XI et 12) ont long temps tenu prison & tiennent encore pour la malice du temps, enfin nous leur ouvrirons la porte »

Epitre de 1605 à Henri le Grand.

« Ayant (il y a quelques années) recouvert certaines Prophéties ou Pronostications des mains d’un nommé Henry Nostradamus (…) qu’il me donna avant de mourir & par moy tenues en secret jusques à présent »

On a là l’exposé d’un scénario qui a du se répéter à plusieurs reprises. C’est ainsi que nous pensons vraisemblable que cela s’applique à César de Nostredame qui aurait ainsi transmis le texte d’une épître datée de 1555 à lui destinée. Mais est-ce que cette épître exista réellement ou s’agit-il d’une fiction ? Est-ce que César joua réellement un rôle dans une certaine entreprise de mystification ? Ce qui est sûr, c’est que Chavigny cite son nom favorablement dans le « Brief Discours de la Vie de Nostradamus ».

Rappelons que dès 1568, il était déjà question de documents retrouvés mais cela visait alors des textes en prose, comme en témoigne cette édition rouennaise:

« Prédictions pour 20 ans (…) extraictes de divers auteurs trouvée en la Bibliothèque de nostre défunct dernier décédé (…) Maistre Michel de nostre Dame (…) par Mi. De Nostradamus le Jeune, Rouen, Pierre Brenouzet (BNF),

Un détail cependant à ne pas négliger : il est question non pas d’un ouvrage dû à Nostradamus mais d’une compilation de textes trouvés dans sa bibliothèque, à sa mort. Ce glissement est remarquable et il apparait, nous semble-t-il, dans les diverses versions du commentaire de Jean-Aimé de Chavigny, avec le passage de l’éditeur, du Collector, du collectionneur – ce qui est aussi le cas pour une bibliothèque qui est une collection, vers le statut d’auteur :

Jani Gallici facies prior (…) breviter complectens (…) redditus atque explicatus per Io. Amatum Chavigneum

La Première face du Janus François (…) extraicte et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame (…) par Jean Aimes de Chavigny, Lyon Heritiers de Pierre Roussin

Chavigny, dans la version au titre français n’est plus celui qui explique mais seulement celui qui extrait et collige.

En 1596, dans la nouvellle édition, parisienne, exclusivement en français, cette fois, le titre est le suivant, la présentation varie encore : :

« Commentaires du Sr de Chavigny beaunois sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus, Paris , Gilles Robinot/ autre édition Antoine du Breuil.(cf RCN, pp. 142-143). Chavigny retrouve un statut de commentateur/ Rappelons que le terme associé à Nostradamus concerne simplement l’interprétation des données astronomiques/

Rappelons que nous avons retrouvé une édition des sixains, non pas parue sous le nom de Nostradamus mais sous celui de Noel Léon Morgard (Bibl. Mazarine) et qui sera donc par la suite incluse au sein des éditions à trois volets, précédée de la dite Epitre de 1605 à Henri IV.

On soulignera l’existence des doubles dénominations, à partir de la version au titre français du Janus François ;.

  1. Centuries et autres commentaires

1596 Centuries et pronostications

Puis

Sans date Les centuries et merveilleuses prédictions Rouen, P. Valentin

Faisant suite aux Grandes et merveilleuses prédictions. Ce cas n’est probablement pas significatif.

1650 Les vrayes centuries et prophéties, Leyde,

1667 Les vrayes centuries et prophéties, Amsterdam

1672 The true propheties or Prognostications, Londres.

La formule s’imposera dès lors, du moins jusqu’au début du XVIIIe siècle. On la trouve ainsi encore chez le lyonnais Antoine Besson (c 1691) puis en 1710, dans une édition rouennaise, chez Jean B. Besongne (cf RCN, pp 290 et seq)

Parfois, les deux mots sont reliés par la conjonction « est », parfois par un « ou/or », ce qui crée une impression de synonymie, de redondance.

Mais, selon nous, l’origine de ce « doublon » est liée à l’existence, au départ, d’un double corpus comme cela est assez manifeste chez Jean Aimé de Chavigny : Il s’agit bien évidemment d’une part de la production des almanachs et pronostications, dont la matrice est le Recueil des Présages Prosaïques, de l’autre des Centuries. Chez Chavigny, les deux ensembles vont finir par fusionner tant et si bien que son commentaire de 1594 les traite indifféremment, comme un seul et même matériau. Les éditions qui englobent les deux corpus sont justement celles qui comportent un double intitulé. En revanche, les éditions sans date ou du XVIIe siècle, ne prenant pas en compte les « Présages », portent un intitulé unique, Prophéties. En fait, on assiste à l’éviction progressive du premier ensemble comme si la mauvaise monnaie chassait la bonne. Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement (1656), exprime nettement sa préférence pour les dix centuries et semble sérieusement douter de l’authenticité des dits Présages.

56 CORPUS NOSTRADAMUS 33 -- par Patrice Guinard - La lettre de Nostradamus à César (transcription, traduction, explication)
57 Voir notre post doctorat sur Giffré de Réchac. EPHE 2007, en ligne sur propheties.it
58 Et non l’Endrogyn comme dans le RCN, p. 95
59 Cf sur ce débat, B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op.. cit.
60 Cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France,. Formation et fortune, 1999. site propheties.it.

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