Sunday 1 April 2012

L’adresse au fils dans la littérature alchimique médiévale

 

4 - L’adresse au fils dans la littérature alchimique médiévale

Par Jacques Halbronn

C’est en lisant (p.. 21) le Que Sais je de Serge Hutin sur « L’alchimie » (PUF, 1951, rééd 1991) que d’autres textes que ceux présentés dans nos trois premièrs études sont venus s’ajouter. Hutin s’y référe incidemmennt à la Summa Perfectionis de Geber. « Prends, mon fils, pour commenJâbir ibn Hayyân cer la pierre que tu sais pour reméde ». Il se confirme ainsi que l’adresse au fils serait une figure obligée de la littérature alchimique, au vu du nombre de récurrences observées et que ce point n’avait pas été mis en avant par les historiens de l’ésotérisme, à commencer par le dit Serge Hutin, auteur également de textes sur Nostradamus.

Nous en proposons ci-dessous deux nouveaux échantillons : l’un attribué au mythique Hermés Trismégiste, l’autre, justement, à l’Arabe Jabir Ibn Hayan dit Geber.

I Summa Perfectionis du pseudo Geber ( XIIIe siècle)

Portrait de Geber du XVe siècle, Codici Ashburnhamiani

« J’ai réduit brièvement en cette Somme de la Perfection toute la Science de Chimie, ou de la Transmutation desMétaux. Dans mes autres Livres, j’en avais fait plusieurs Recueils que j’avais tirés et abrégés des Ecritsdes Anciens : mais en celui-ci j’ai achevé ce que je n’avais qu’ébauché en ceux-là. J’y ai ajouté en peu de paroles ce que j’avais omis dans les autres ; j’y ai mis tout au long ce que je n’avais dit ailleursqu’imparfaitement, et j’y ai déclaré entièrement et aux mêmes endroits ce que j’avais celé dans mes autres Œuvres. Et je l’ai fait afin de découvrir aux personnes intelligentes et sages l’accomplissement et la perfection d’une si excellente et si noble partie de la Philosophie. Ainsi, ô mon cher Fils ! Je puis t’assurer avec vérité que dans les Chapitres généraux de ce Livre, j’ai missuffisamment le Procédé de cet Art tout entier et sans nulle diminution. Et je proteste devant Dieu, que quiconque travaillera comme ce Livre enseigne de le faire, aura la satisfaction d’avoir trouvé la véritable fin de cet Art, et d’y arriver. Mais, mon Cher, je t’avertis aussi que celui qui ignorera les Principes naturels de la Philosophie, est fort éloigné de cette Connaissance, parce que le véritable fondement, sur lequel il doit appuyer son dessein, lui manque ; comme au contraire en est bien près celui qui connaît déjà les Principes naturels des Minéraux. Ce n’est pas que pour cela il ait encore la véritable racine, ni la fin profitable de cet Art très caché : mais ayant plus de facilité à en découvrir les Principes que celui qui forme quelque projet denotre Œuvre sans en connaître la voie ni la manière, ilest aussi moins éloigné que lui de l’entrée de cette Science. Mais que celui qui connaîtra tous les Principes de la Nature, quelles sont les Causes des Minéraux, et de quelle manière la Nature les forme, il n’y a que fortpeu à dire qu’il ne sache l’Œuvre toute entière, quoique sans ce peu là qui lui manque, il soit absolumentimpossible de faire notre Magistère. Parce que l’Art ne peut pas imiter la Nature en toutes ses Opérations, mais il l’imite seulement autant qu’il lui est possible. Et c’est ici un Secret que je te révèle, mon Fils, qui est que ceux qui recherchent cet Art, et les Artistes même, manquent tous en ce qu’ils prétendent imiter la Nature en toute l’étendue et en toutes les différences et lespropriétés de son action. Applique-toi donc soigneusement à étudier nos Livres, et attache-toi surtout à celui-ci. Considère et médite mes paroles attentivement et très souvent, afin que t’étant rendu familière notre manière de parler, et entendant notre idiome ou langage particulier, tu puisses pénétrer dans notre véritable intention et la découvrir. Car tutrouveras dans les Livres sur quoi faire un Projet assuré de ce que tu cherches ; tu y apprendras à éviter toutesles erreurs, et par ce même moyen tu sauras en quoi tupeux imiter la Nature dans l’artifice de notre Œuvre ».

II Sept Traités ou Chapitres Dorés , attribués à Hermès Trismégiste

FIGURE III
(Hermès Trismégiste idéalisé)

Chapitre I.

(….) Mon fils, cette pierre est environnée de plusieurs couleurs, et est née en une couleur ; sache-le, et le scelle, par icelui, avec la grâce de Dieu, vous chasserez de vous toutes grandes maladies, tristesse, tout dommage et angoisses : par son moyen vous viendrez des ténèbres à la lumière, des déserts à l'habitation, et de l'affliction à la joie.

Chapitre II.

Mon fils je vous avertis par dessus toutes choses de craindre Dieu, vers lequel est tout l'effort de votre disposition, et l'union de toutes choses séparées. Mon fils raisonnez sur tout ce que vous entendez, car je ne crois pas que vous soyez privé de raison et ignorant : c'est pourquoi recevez mes exhortations, et méditez et établissez votre cœur de la même façon que si vous étiez l'auteur des exhortations, car si celui qui est de nature chaude, se fait froid, il n'en recevra aucun dommage : semblablement que celui qui use de raison chasse de soi toute l'ignorance de peur qu'il ne soit trompé sans y penser. Mon fils, prenez le volatil qui vole, submergez-le et le divisez, tirez et chassez de lui sa couleur qui le tue, à ce qu'il soit fait vif, et qu'il vous réponde, ne volant point par les régions, mais qu'il contienne actuellement ce qui vole, car si vous le tirez de l'affliction, après l'affliction dans les jours qui vous sont connus, vous serez Roi par raison, il vous sera un compagnon convenable, et vous serez décoré par icelui
Mon fils, tirez du rayon son ombre et ordure, parce que les mers surnagent au-dessus de lui, le gâtent, et l'empêchent de [manifester] sa lumière, parce qu'il est brûlé par l'affliction et sa rougeur. Mon fils, prenez cette rougeur corrompue par l'eau, comme le feu en est le porteur, qui est cendre vive, laquelle si vous ôtez toujours de lui jusqu'à ce que la rougeur vous soit purifiée, vous avez une compagnie par laquelle il est échauffé, et en laquelle il repose

Mon fils, rendez à l'eau le charbon éteint par les trente jours que vous connaissez, c'est pourquoi vous êtes Roi couronné, reposant sur le puits de l'orpiment qui n'a point d'humeur. J'ai maintenant réjoui les cœurs des écoutants qui espèrent en toi, et les yeux qui te regardent par l'espérance de ce que tu contiens.
Mon fils, sache que l'eau était auparavant en l'air, puis en la terre, rendez-la aussi aux Supérieurs, changez-la discrètement par ses conduits, puis conjoignez-la derechef à son esprit rouge assemblé.
Sachez, mon fils, que notre terre est un onguent, soufre, orpiment, feu, et colcothar qui est Mercure, orpiment, soufre, et semblables choses desquelles chacun est plus vil que l'autre, auquel se trouve diversité, desquels aussi est l'onguent de colle, qui est cheveux, ongles, et soufres, desquels aussi est l'huile de pierre et cervelle qui est orpiment, desquels est encore l'ongle des chats qui est Mercure, desquels est encore l'onguent des blancs et l'onguent de deux argents vif Orientaux qui cherchent les soufres, et contiennent les corps. Je dis, que le soufre teint et fixe, et est contenu, et est par la connexion des teintures, or les onguents contenus dans le corps, teignent et fuient qui sont contenus dans le corps qui est la conjonction des [matières sublimées] et le poids ou soufre alumineux, qui contiennent le fugitif.
Mon fils, la disposition recherchée par les Philosophes est unique en notre œuf, ce qui ne se trouve point en l'œuf de la poule, et de peur que dans l'œuf ne soit éteinte une si grande sagesse divine de la poule, sa composition est faite des quatre Eléments.
Sachez mon fils, que dans l'œuf de la poule il y a une grande aide et une grande proximité en la nature, car en icelui est la spiritualité et la comparaison des Eléments et la terre de sa nature est l'or.
Le fils dit à Hermès, quels sont les soufres convenables à notre œuvre, célestes ou terrestres ? Hermès répond, les uns sont célestes, les autres terrestres Le fils : Mon père, je pense que le cœur des choses supérieures est le Ciel, et des choses inférieures, la terre. Le père : Il n'en est pas ainsi, mais le mâle est le Ciel de la femelle, et la femelle la terre du mâle]. Le fils : Mon père, lequel des deux est le plus digne d'être Ciel ou d'être terre ? Hermès répond, ils ont besoin l'un de l'autre, car la médiocrité est commandée par les préceptes, comme si vous disiez : Le sage commande à tous les hommes : car le médiocre est meilleur, parce que toute la nature s'unit, comme accompagne sa nature, nous avons trouvé que la médiocrité s'unit à la vertu de la sagesse. Le fils : Mon père, laquelle de ces choses est le médiocre ? Le père : de chacune trois, sont deux. Premièrement l'eau est utile, et après l'onguent et au-dessous demeure l'ordure. Le dragon demeure en toutes ces choses, et sa noirceur est en iceux, et par icelle il monte en l'air, parce qu'il est le Ciel de leur Orient, mais quand la fumée demeure en icelle, ils ne sont point perpétuels, mais ôtez la fumée de l'eau, et de l'onguent la noirceur et des fèces la mort, et la dissolution étant faite, vous triompherez, par le don duquel les possesseurs vivent. Sachez, mon fils, que l'onguent médiocre, qui est le feu, est le milieu entre l'ordure et l'eau, et le scrutateur de l'eau, parce qu'ils sont appelés onguent et soulphre, il y a une très étroite proximité, parce que comme le feu monte, ainsi monte aussi le soulphre.
Sachez mon fils, que toutes les sagesses qui sont au monde sont sujettes à cette mienne sagesse. En ces admirables Eléments cachés, les arts sont casuels. Il faut donc que celui qui veut être introduit en cette notre sagesse cachée, chasse de soi le vice d'arrogance, et qu'il soit pieux et homme de bien, et excellent esprit, aimant son prochain d'une face joyeuse, courtois et fidèle gardien des ses secrets.
Et sachez cela, mon fils, si vous savez mortifier et introduire la génération, vivifier les esprits, les mondifier, et introduire la lumière jusqu'à ce qu'ils soient combattus, colorés et purifiés de leurs taches et ténèbres, vous ne savez rien, et ne perfectionneraient rien : que si vous savez cela, vous serez élevé à une très grande dignité, de sorte que les Rois même vous révéreront. Mon fils, il nous faut conserver ces sciences, et les sceller à tous les méchants et ignorants.
Et sachez, mon fils, que notre pierre est composée de plusieurs choses, et diverses couleurs des quatre Eléments qu'il nous faut diviser et couper par pièce, et séparer leurs membres, mortifier en partie la nature qui est en icelle, conserver le feu et l'eau qui habite en elle, et est composé des quatre Eléments, et contenir leurs eaux, par son eau, qui n'a point la forme de l'eau, mais un feu montant sur les eaux, et les contenant en un vase pur et sincère, de peur que les esprits ne s'enfuient des corps ; car par ce moyen ils sont fait tingents et permanents. O bénite forme d'eau pontique ! qui dissoue les Eléments ; il faut aussi qu'avec cette forme d'eau, nous possédions une âme sulfureuse, et la mêler avec notre vinaigre, car quand par la puissance de l'eau le composé se dissout, c'est la clef de la restauration, alors la mort et noirceur s'enfuit d'icelle, et la sagesse en sort ».

C’est dire que notre corpus « Mon fils » s’enrichit et que la thèse d’un emprunt de l’idée même de Préface à César au dit corpus se renforce. On assiste là à une transposition qui place ainsi Nostradamus, ipso facto, au sein d’un club fort honorable, si ce n’est que la totalité de ces textes semblent avoir été des contrefaons antidatées, ce qui vaut, selon nous, tout aussi bien pour le dit Nostradamus. Il reste à comparer plus systématiquement ces diverses pièces pour en déterminer les variantes et notamment d’établir une chronologie.

JHB

31. 03. 12

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