Saturday 31 March 2012

L’influence d’une adresse à Reginald de Piperno sur la Préface à César

 

L’influence d’une adresse à Reginald de Piperno sur la Préface à César

Par Jacques Halbronn

Dans une précédente étude nous évoquions l’éventualité d’une influence « aquinienne » ou pseudo-aquinienne sur la formation du corpus centurique (quatrains plus épitres). En fait, le personnage du Frère Réginald n’apparait pas uniquement dans la lettre sur la Pierre Philosophale. On le trouve également, semble-t-il en ce qui concerne une autre lettre, sur l’Astrologie, celle là authentique (cf ‘Saint Thomas d'Aquin et l'influence des astres de Paul Choisnard, Reed 1983, cf aussi Thomas Litt, Les corps célestes, dans l’univers de Saint Thomas d’Aquin, Louvain, 1963)

Qui est ce Réginald, dominicain à l’instar d’Albert, de Thomas et de cet auteur que nous avons étudié à propos de Nostradamus, Jean Giffré de Réchac (cf sur le site propheties.it) ? On trouve un article wikipedia le concernant que nous reproduisons partiellement : :

« Réginald de Piperno ou encore Reginaldus ou Reynaldus, ou encore Raynaldné à Piperno (c'est-à-dire Priverno dans le diocèse de Terracine, Sezze, et Pipernoen) en 1230 et mort entre 1285 et 1295 à Anagni, est un dominicain,théologien, maître enseignant (au studium generalede Naples et Orvieto, vers 1263-1265), prédicateur, confesseur et secrétaire de Thomas d'Aquin puis compilateur.

« Réginald de Piperno fait partie des secrétaires dont s'entourait Thomas d'Aquin. Celui-ci le guérit un jour de la fièvre et il lui succèdera au Studium de Naples en 1272, pour compagnon intime (socius), c'est-à-dire secrétaire (il lui dédiera quelques œuvres), collaborateur, confesseur, puis compilateur.

« Secrétaire de Thomas d'Aquin, il vit dans l'ombre du saint. Il rapporte, parfois de mémoire (nota) ses enseignements pour les mettre par écrit. Il recueille après sa mort tous les manuscrits du saint et les compile (Supplément de la Summa Theologiae et Livre IV du Commentaire des Sentences) et organise la Somme Théologique (Opuscula Postillae super Epistolas S. Paul, Postilla super Tres Nocturnos Psalterii, Lectura super Primum de Anima) en plus des écrits qui lui furent dictés par saint Thomas. On lui attribue aussi une partie de Postilla In Iohannem, la fin de l'œuvre qui aurait pu être corrigée par Saint Thomas[2],[3]. Il aurait composé le catalogue «officiel » des œuvres de saint Thomas.

« Frère Reginald rapporte le souvenir d'une extase de saint Thomas en 1247: pendant quelques jours, le saint refuse de lui dicter quoi que ce soit, contrairement à son habitude. Il lui demande alors la raison. Frère Thomas d’Aquin lui dit alors « J’ai vu des choses que la langue de l’homme ne peut exprimer : À côté de ce qui m’a été révélé, tout ce que j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien». L'extase met fin aux recherches théologiques du saint Docteur et plus jamais saint Thomas, qui meurt cette même année, ne dicta quoi que ce soit à frère frère Réginald est compilé à partir du Commentaire du livre des Sentences, et traite de la pénitence, de l'ordre, du mariage, de l'extrême-onction et surtout des fins dernières.

« Il succède à Saint Thomas d'Aquin au couvent de Naples. Il meurt entre 1285 et 1295 à Anagni.

On trouve mention de frère Reginald dans les explicit de saint Thomas :

  • « Fin du vingt-sixième Opuscule, c'est-à-dire De l'astrologie, d'après saint Thomas d'Aquin, au très cher frère Reginald son confrère bien-aimé ».

Reginald écrivait à propos de Thomas:

«Tant qu'il vécut, mon Maître m'empêchait de révéler les merveilles dont j'ai été le témoin. Il devait moins sa science à l'effort de son esprit qu'à la puissance de sa prière. Toutes les fois qu'il voulait étudier, discuter, enseigner, écrire ou dicter, il recourait d'abord au secret de l'oraison, pleurant devant Dieu pour trouver dans la véritéles secrets divins, et par l'effet de cette prière étant avant l'oraison dans l'incertitude, il s'en revenait instruit»

« Bibliographie :

Abrégé de théologie ou Bref résumé de théologie pour le frère Raynald, Thomas d'Aquin (saint) : Compendium theologiae introduction .-traduction française et annotations par Jean-Pierre Torrell, Le Cerf, collection « Dictionnaires ».-août 2007. Livre écrit à la demande de Reginald de Piperno »

C’est ce Frère Reginald, auquel Thomas d’Aquin s’adresse en l’appelant « mon fils », dans le texte alchimique qui lui est faussement attribué- le Tractatus D. Th. De Aquina datus fratri Reinaldo in Arte Alchimiae(trad. française, Paris, Chamuel, 1898) car on y cite des traités alchimiques bien plus tardifs- qui aurait pu, selon nous, inspirer le ton et le concept même de la Préface de Nostradamus à son fils, qu’il s’agisse d’œuvres authentiques ou controuvées de Thomas d’Aquin. Cette Lettre sur l’alchimie, reprise dans notre précédente étude, et considérée le plus souvent comme un faux fait pendant à une autre sur l’astrologie qui est, quant à elle, acceptée comme authentique et que nous reproduisons ci-après. Le fait que Réginald soit le dédicataire de cette lettre est toutefois débattu.( on connait deux textes alchimiques de Thomas d’Aquin, tous deux figurant in Thomas d'Aquin, Traité de la pierre philosophale, traduit du latin pour la première fois et précédé d'une introduction(anonyme) ( Ed. Chamuel, Paris, 1898) 110 pp. En revanche, le texte alchimique fut bel et bien publié à l’adresse du dit Frère.

On en présente ici un texte bilingue (trad. français de Pierre Monat, 2007) comme probable interlocuteur d’une lettre du Docteur Angélique. Mais ce texte n’offre quant à lui aucun caractère de ressemblance avec la Préface à César si ce n’est qu’il traite d’astrologie. La forme « mon fils » -ou plutôt son équivalent latin ne figure pas.

Prooemium

Prologue

[69900] De iudiciis astrorum,

Quia petisti ut tibi scriberem an liceret iudiciis astrorum uti, tuae petitioni satisfacere volens, super ea quae a sacris doctoribus traduntur, scribere curavi.

Les arrêts des astres.

Puisque tu m'as demandé de t'écrire s'il était permis d'avoir recours aux arrêts des astres, étant donné que je voulais satisfaire à ta demande, j'ai pris soin d'écrire ce qui nous a été transmis là-dessus par les saints docteurs.

Les influences physiques des astres

[69901] In primis ergo oportet te scire, quod virtus caelestium corporum ad immutanda inferiora corpora se extendit. Dicit enim Augustinus, V de civitate Dei: non usquequaque absurde dici potest, ad solas corporum differentias afflatus quosdam sidereos pervenire. Et ideo si aliquis iudiciis astrorum utatur ad praenoscendum corporales effectus, puta tempestatem et serenitatem aeris, sanitatem vel infirmitatem corporis, vel ubertatem et sterilitatem fructuum, et cetera huiusmodi quae ex corporalibus et naturalibus causis dependent, nullum videtur esse peccatum.

Tout d'abord, il te faut savoir que la puissance des corps célestes s'étend jusqu'à modifier les corps inférieurs. Augustin (Cité de Dieu, 5,-) dit : « on peut soutenir sans aucune absurdité que certains souffles astraux parviennent à provoquer des variations dans les corps ». Dès lors, si on a recours aux arrêts des astres pour connaître d'avance des effets physiques, par exemple tempête et temps calme, santé ou maladie du corps, abondance et pauvreté des récoltes et toutes les choses de ce genre, qui dépendent de causes physiques et naturelles, il est clair qu'il n'y a pas de péché.

Nam omnes homines circa huiusmodi effectus aliqua observatione utuntur caelestium corporum: sicut agricolae seminant et metunt certo tempore, quod observatur secundum motum solis; nautae navigationes vitant in plenilunio, vel in lunae defectu; medici circa aegritudines criticos dies observant, qui determinantur secundum cursum solis et lunae.

De fait, tous les hommes, quand il s'agit de faits de ce genre, ont recours à l'observation des corps célestes : ainsi les paysans sèment et moissonnent à un moment donné, qui est déterminé d'après le mouvement du soleil ; les marins évitent de naviguer à la pleine lune ou en éclipse de lune ; les médecins, en face des maladies, respectent des jours critiques qui sont déterminés par la course du soleil ou de la lune.

Légitimité de l’astronomie et danger de l »’astrologie

Unde non est inconveniens secundum aliquas alias occultiores observationes stellarum circa corporales effectus uti astrorum iudicio. Hoc autem omnino tenere oportet, quod voluntas hominis non est subiecta necessitati astrorum; alioquin periret liberum arbitrium: quo sublato non deputarentur homini neque bona opera ad meritum, neque mala ad culpam. Et ideo certissime tenendum est cuilibet Christiano, quod ea quae ex voluntate hominis dependent, qualia sunt omnia humana opera, non ex necessitate astris subduntur: et ideo dicitur Ierem. X, 2: a signis caeli nolite metuere, quae gentes timent.

C'est pourquoi il n'est pas condamnable d'avoir recours, en suivant d'autres observations moins visibles sur les étoiles, d'avoir recours aux arrêts des astres en matière de phénomènes physiques. Toutefois, il faut absolument maintenir que la volonté de l'homme n'est pas soumise à une fatalité astrale ; sans cela, ce serait la fin du libre arbitre ; et si on le supprimait, ni les bonnes actions ne seraient alors comptées comme un mérite pour l'homme, ni les mauvaises comme une faute. Et c'est pourquoi tout chrétien doit soutenir fermement que tout ce qui dépend de la volonté humaine, c'est le cas de toutes les actions humaines, ne dépend pas d'une fatalité astrale : c'est pourquoi il est dit (Jér. 10,2) : « ne craignez rien des signes du ciel que redoutent les nations ».

Le risque du diable

Sed Diabolus ut omnes pertrahat in errorem, immiscet se operibus eorum qui iudiciis astrorum intendunt. Et ideo Augustinus dicit in II super Gen. ad litteram: fatendum, quando ab astrologis vera dicuntur, instinctu quodam occultissimo dici, quem nescientes humanae mentes patiuntur: quod cum ad decipiendos homines fit, spirituum immundorum et seductorum operatio est; quibus quaedam vera de temporalibus rebus nosse permittitur. Et ideo Augustinus dicit in II de doctrina Christiana, quod huiusmodi observationes astrorum referendae sunt ad quaedam pacta cum Daemonibus habita.

Mais le Diable, afin d'entraîner tous les hommes dans l'erreur, se mêle aux actions de ceux qui prêtent attention aux arrêts des astres. C'est pourquoi Augustin dit (Gen. ad Litt. II) : « il faut reconnaître que, quand des choses vraies sont dites par les astrologues, elles sont dites sous l'effet d'une inspiration bien cachée, à laquelle les esprits humains sont soumis sans le savoir ; comme cela se fait pour tromper les hommes, c'est une opération des esprits immondes et trompeurs, auxquels il est permis de savoir un certain nombre de choses vraies sur les réalités temporelles. C'est pourquoi Augustin dit (Doct. chr. II) que ce genre de réussites des astres doit être mis sur le compte de pactes passés avec les Démons.

Est autem omnino Christiano vitandum pactum vel societatem cum Daemonibus habere, secundum illud apostoli, I Corinth. X, 20: nolo vos fieri socios Daemoniorum. Et ideo pro certo tenendum est, grave peccatum esse, circa ea quae a voluntate hominis dependent, iudicio astrorum uti.

Le chrétien doit absolument éviter de passer un pacte ou une alliance avec les démons, selon le mot de l'Apôtre (I Cor. 10,20) : Je ne veux pas que vous deveniez alliés des Démons. Voilà pourquoi il faut tenir pour assuré que c'est un grave péché d'avoir recours aux arrêts des astres à propos de ce qui dépend de la volonté de l'homme.

La source qui aurait ainsi servi à camper Nostradamus s’adressant à son fils à l’instar d’un Thomas fut en latin et non en français. Les premières dates d’impression connues sont Cologne 1579, chez Daniel Van Broekhuiser, ainsi que Leyde 1598 et Lyon 1602. Ces textes seront repris en 1659, au sein du Theatrum Chemicum. La date de 1579 nous semble tout à fait convenir puisque cela n’aurait précédé que de quelques années la parution de la Préface à César que nous situons au milieu des années 1580.

L’idée d’imaginer une telle Epitre de Nostradamus à son fils fut évidemement inspirée par le fait que dans un texte disparu mais que Couillard reprend et dont les faussaires devaient disposer, Nostradamus évoquait, en 1555, la récente naissance de son fils César. C’est d’ailleurs le texte largement étudié par les nostradamologues comme Robert Benazra, d’Antoine Couillard, sieur du Pavillon Les Lorriz (Prophéties, 1556) - par ailleurs auteur de Contreditz à l’encontre de Nostradamus et d’autres astrologues (1560)- qui servira à constituer la substance de la dite Epitre, ce qui en fait un faux utilisant des éléments authentiques tout comme le Centiloque, faussement attribué à Ptolémée fut repris du Tetrabiblos.(cf notre étude en postface au « Centilogue » de Bourdin, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1993, cf sur la confection des faux, notre ouvrage sur les Protocoles des Sages de Sion, Lyon, Ed. Ramkat, 2002) à moins que le texte (perdu) que parodie Couillard n’ait été accessible à l’époque.

Bien entendu, l'influence de cette lettre sur l'alchimie aura également servi pour la pièce figurant dans le Petit Albert (vers 1722), comme émanant d'Aristée -(et non plus de Thomas d'Aquin)- récupérant ainsi une pièce elle-même considérée comme un faux et datant de deux siècles avant notre ère.(Lettre d'Aristée à Philocrate, son frère). C'est donc cette même pièce qui sera reprise par Limojon de Saint Didier, en 1686, étant entendu que la pièce du recueil albertien est plus proche de l'original que celle reprise par la Lettre d'Aristée à son fils, publiée anonymement (avec anagramme) par le dit Limojon[1]€€ (sur la réception de ce traité, cf Der alchemistische Traktat « Von der Multiplikation von pseudo Thomas von Aquinas. Untersuchungen von D Goltz, J. Telle, H. J. Vermeer, Sudhoffs Archiv, Beiheft 19, 1977, pp. 87 et seq)

On notera que dans cette lettre- que l’on pourrait qualifier de « mémoire » pour user d’une formule de la Préface à César - Thomas d’Aquin laisse entendre qu’il a déjà transmis d’autres informations dans le passé. « Il ne me reste autre chose que les clefs de la nature que j’ay jusqu’ici conservées avec un très grand soin ». Cette idée de transmettre le « restant » d’un ensemble se retrouve d’ailleurs dans l’Epître à Henri II, inspirée dans sa forme centurique de la Préface à César qui y est mentionée : « ces trois Centuries du restant de mes Prophéties, parachevant la miliade ».

JHB

31.03.12


[1] Signalons un texte découvert par Bernard Husson, d’un certain Claude Limojon de Saint Didier, auteur d’une Lettre d’un philosophe à son ami sur le grand œuvre, (1680) Ed de la Hutte. , au titre très proche de celui d’Alexandre Limojon « Lettre d’un philosophe sur le secret du grand œuvre au sujet de ce qu’Aristée a laissé par écrit à son fils touchant le Magistère philosophique » et qui semble avoir précédé de quelques années l’édition de 1686))

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