47 - La Préface à César et les Clavicules de Salomon
Par Jacques Halbronn
Il y aurait certainement une belle thèse de doctorat à consacrer à la littérature ésotérique liée à la transmission du père au fils, d’Hermès Trismégiste (s’adressant à son fils Tat) à Geber, du Petit Albert à Limojon de Saint Didier – autour d’Aristée - en passant par Thomas d’Aquin comme on l’a vu dans nos précédentes études. Encore ne faudrait-il pas oublier le cas des Clavicules de Salomon. Notons que les nostradamologues avaient jusque là, à notre connaissance, le problème des similitudes de genre entre le corpus nostradamique et d’autres corpus connexes. De tels cloisonnements sont dommageables à la recherche historique, au nom d’un structuralisme mal compris. L’Histoire d’un texte ne se limite pas à la recension de ses occurrences mais passe aussi par la question de ses emprunts.
Nous avons deux grandes directions qui empruntent peu ou prou le langage de l’astrologie : l’alchimie et la magie, l’une en ce qui concerne les métaux, l’autre pour ce qui est des anges.
Abordons la question des ressemblances entre la Préface à César et les Clavicules (petites clefs) de Salomon. Nous n’en fournirons que des extraits, tant en français qu’en anglais. Nous avons souligné par des caractères différents les passages les plus frappants.
Dans son ‘Discours préliminaire » - ce qui équivaut à une « Préface », le roi Salomon, fils de David, s’adresse à son fils Roboam. Notons cependant qu’au début le texte est à la troisième personne, on parle de Salomon s’adressant à son fils. Ce n’est qu’ensuite que l’on passe à une adresse du roi à son fils.
Rappelons le début de la Lettre à César, en français et dans la première traduction anglaise (1672)
« te délaisser mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur »
« I might leave a Memorial of me after my death to the common benefit of Mankind”
Rappelons que “Mémoire” renvoie ici à un « testament, à un document et non à quelque « souvenir » comme l’a cru Pierre Brind’amour.
Clavicules : « Etant pour ainsi dire sur sa fin il laissa a son fils ROBOAM un Testament
Traduction anglaise cf. dans le corps du texte infra) :
On notera que la ville d’Arles en Provence dont il est question fait pendant à Salon de Provence, surtout si l’on situe cette Préface, initialement, dans un contexte posthume, outre les origines juives de Nostradamus :
« Ce Testament fut anciennement traduit de l' Hébreu en Langue Latine par le Rabin Abognazar qui le transporta avec lui dans la Ville d' Arles en Provence, où par un insigne bonheur, l'ancienne Clavicule Hébraïque, c'est à dire la précieuse traduction d'icelle tomba entre les mains de l'Archevêque d'Arles, après la destruction des Juifs en cette Ville, qui du Latin la traduisit en langue Vulgaire & dans les mêmes termes qui s'ensuivent sans avoir altéré ni augmenté l'originale traduction de l'Hébreu »
On reprendra le début de cette adresse de Salomon à son fils : on éprouve là une certaine sensation de « déjà vu »
« MON FILS ROBOAM; comme de toutes les Sciences il n'en est point de plus naturelle, & de plus utile que la connaissance des mouvemens Célestes, j'ai crû en mourant devoir te laisser un héritage plus précieux que toutes les Richesses dont je jouis ».
Tout le texte des Clavicules (nous renvoyons le lecteur à la lecture du document tout entier, aisément trouvable sur Internet) est truffé de références aux dieux-planétes.
Retenons deux passages :
Clavicules :
« Tout d'un coup j'aperçus au fond d'une allée époisse d'arbres, une lumière en forme d'Etoile ardente »
Préface à César « le glaive mortel s’approche maintenant de nous ». On sait que cela se réfère à un phénomène céleste.
Clavicules :
« Si tu n'avais le dessein de bien user des secrets que je t'enseigne; je t'ordonne de jeter plutôt ce Testament au feu »
Préface à César « faire présent à Vulcain », ce qui réfère au feu auquel on donne un document à brûler.
(Les Véritables Clavicules de Salomon, traduites de l'Hebreux en langue Latine par le Rabin Abognazar.)
Cf. Les Clavicules de Salomon. Traduit de l'hébreux en langue latine par le rabbin Abognazar et mis en langue vulgaire par M. Barault J. Jaubert de Barrault,... M.DC.XXXIV [
The Veritable Clavicles of Solomon,
Translated from Hebrew into the Latin Language by Rabbi Abognazar.
Edited from British Library, Lansdowne MS. 1203. 74 folios. 4°.
Copyright 2001, Joseph H. Peterson.
LES VÉRITABLES
CLAVICULES
DE SALOMON
Traduites de l'Hébreu en langue Latine
Par le Rabin ABOGNAZAR.
The Veritable
Clavicles
of Solomon,
translated from the Hebrew into the Latin language
by the Rabbi Abognazar.1
DISCOURS
PRÉLIMINAIRE.PRELIMINARY DISCOURSE
TOUT l'Univers a sçu jusqu'a ce jour que de tems immémorial SALOMON possédait les sciences infuses par les Sages enseignemens d'un Ange, auquel il parut si soumis & obéissant, que par surcroit du Don de Sagesse qu'il demanda, il obtint avec profusion toutes les autres Vertus, ce qui fit que pour ne pas inhumer avec son corps des Sciences dignes d' une mémoire Eternelle étant pour ainsi dire sur sa fin il laissa a son fils ROBOAM un Testament qui les contenoit toutes & dont il a joui jusqu'a sa mort. Les Rabins qui après lui ont été soigneux deles cultiver nommérent ce Testament, Clavicule de Salomon qu'ils firent graver sur des écorces d'Arbres & les Pentacules sur des plaques de cuivre en Lettres Hébraïques pour être soigneusement conservées dans le Temple que ce Sage avait fait construire.
Every one knoweth in the present day that from time immemorial Solomon possessed knowledge inspired by the wise teachings of an angel, to which he appeared so submissive and obedient, that in addition to the gift of wisdom, which he demanded, he obtained with profusion all the other virtues; which happened in order that knowledge worthy of eternal preservation might not be buried with his body. Being, so to speak, near his end, he left to his son Roboam a Testament which should contain all (the Wisdom) he had possessed prior to his death. The Rabbins, who were careful to cultivate (the same knowledge) after him, called this Testament the Clavicle or Key of Solomon, which they caused to be engraved on (pieces of) the bark of trees, while the Pentacles were inscribed in Hebrew letters on plates of copper, so that they might be carefully preserved in the Temple which that wise king had caused to be built.
This Testament was in ancient time translated from the Hebrew into the Latin language by Rabbi Abognazar, who transported it with him into the town of Arles in Provence, where by a notable piece of good fortune the ancient Hebrew Clavicle, that is to say, this precious translation of it, fell into the hands of the Archbishop of Arles, after the destruction of the Jews in that city; who, from the Latin, translated it into the vulgar tongue, in the same terms which here follow, without having either changed or augmented the original translation f
LES VÉRITABLES
CLAVICULES
DE SALOMON.
The Veritable
CLAVICLES
OF SOLOMON.
MON FILS ROBOAM; comme de toutes les Sciences il n'en est point de plus naturelle, & de plus utile que la connaissance des mouvemens Célestes, j'ai crû en mourant devoir te l'aisser un héritage plus précieux que toutes les Richesses dont je joüis. Et pour te faire comprendre de quelle maniére je suis parvenu â ce dégré, il faut te dire qu'un jour contemplant la puissance de l'Etre Suprême, l'Ange du Grand Dieu s'apparut devant moi dans le tems que je disois O quam mirabilia opera Dei, Que les Ouvrages de Dieu sont surprenants & admirables. Tout d'un coup j'apperçus au fond d'une allée époisse d'arbres, une lumiére en forme d'Etoile ardente qui me dit d'une voix tonnante Salomon, Salomon, Salomon ne t'étonne point? le Seigneur veut bien satisfaire ta curiosité en te donnant la connaissance dela chose qui te sera la plus agréable. Je t'ordonne de lui demander ce que tu désires surquoi étant revenu de la surprise où j'etais, je répondis à l'Ange, qu'après la volonté du Seigneur, je ne désirais que le Don de Sapience, & par la bonté du grand Dieu j'obtins par surcroit la jouissance de tous les Trésors Célestes & la connaissance de toutes choses naturelles.
O my Son Roboam! seeing that of all Sciences there is none more useful than the knowledge of Celestial Movements, I have thought it my duty, being at the point of death, to leave thee an inheritance more precious than all the riches which I have enjoyed. And in order that thou mayest understand how I have arrived at this degree (of wisdom), it is necessary to tell thee that one day, when I was meditating upon the power of the Supreme Being, the Angel of the Great God appeared before me as I was saying, O how [great and] wonderful are the works of God! I suddenly beheld, at the end of a thickly-shaded vista of trees, a Light in the form of a blazing Star, which said unto me with a voice of thunder: Solomon, Solomon, be not dismayed; the Lord is willing to satisfy thy desire by giving thee knowledge of whatsoever thing is most pleasant unto thee. I order thee to ask of Him whatsoever thou desirest. Whereupon, recovering from my surprise, I answered unto the Angel, that according to the Will of the Lord, I only desired the Gift of Wisdom, and by the Grace of God I obtained in addition the enjoyment of all the Celestial treasures and the knowledge of all natural things.
C'est mon Fils par ce moyen que je posséde toutes les Vertus & Richesses dont tu me vois jouir à present, & pour peu que tu veuille être attentif à tout ce que je vais raconter, & que tu retienne avec soin ce que je te vais dire, je t'assure que les Graces du grand Dieu te seront familiéres, & que les Créatures Célestes & terrestres te seront obéïssantes, Science qui n'opére que la force & la Puissance des choses naturelles & des Anges purs qui les régissent dont je te donnerai les Noms par Ordre, leurs exercices & emplois particuliers auxquels ils sont déstinés, ensemble les jours auxquels ils président particuliérement, pour que tu puisse venir à bout de tout ce que tu trouveras dans ce mien Testament, Dont je promets la réussite, pourvû que tous tes ouvrages ne tendent qu'à l'honneur de Dieu qui m'a donné la force de dominer non seulement sur les choses Terrestres mais aussi sur les Célestes c'est à dire sur les Anges dont je puis disposer à ma volonté & obtenir d'eux des Services très considérables.
It is by this means, my Son, that I possess all the virtues and riches of which thou now seest me in the enjoyment, and in order that thou mayest be willing to be attentive to all which I am about to relate to thee, and that thou mayest retain with care all that I am about to tell thee, I assure thee that the Graces of the Great God will be familiar unto thee, and that the Celestial and Terrestrial Creatures will be obedient unto thee, and a science which only works by the strength and power of natural things, and by the pure Angels which govern them. Of which latter I will give thee the names in order, their exercises and particular employments to which they are destined, together with the days over which they particularly preside, in order that thou mayest arrive at the accomplishment of all, which thou wilt find in this my Testament. In all which I promise thee success, provided that all thy works only tend unto the honour of God, Who hath given me the power to rule, not only over Terrestrial but also over Celestial things, that is to say, over the Angels, of whom I am able to dispose according to my will, and to obtain from them very considerable services.
Premiérement, il faut que tu sache que Dieu ayant fait toutes choses pour lui être soumises, il à bien voulu porter ses oeuvres jusqu'au dégré le plus parfait en faisant un ouvrage qui participe, du Divin & du Terrestre, c'est-à-dire l'homme, [dont le Corps est grossier & terrestre, & l'ame Spirituelle & céleste, auquel il a soumis toute la terre & ses habitans, & lui a donné des moyens par lesquels il peut se rendre les Anges familiers que j'appelle Créatures célestes, qui sont déstinés, les vns à regler le mouvement des Astres, les vns a habiter les Elémens, les autres à aider & conduire les hommes, & les autres à chanter continuellement les Louanges du Seigneur; tu peux donc par le moyen de leurs Sceaux & Caracteres teles rendre familiers pourvu~ que tu n'en abuse pas en exigeant d'eux des choses qui leurs sont contraires, car maudit celui qui prendra le Nom de Dieu en vain & qui mal emploira les sciences & les biens dont il nous a enrichis.
Firstly. It is necessary for thee to understand that God, having made all things, in order that they may be submitted unto Him, hath wished to bring His works to perfection, by making one which participates of the Divine and of the Terrestrial, that is to say, Man; whose body is gross and terrestrial, while his soul is spiritual and celestial, unto whom He hath made subject the whole earth and its inhabitants, and hath given unto Him means by which He may render the Angels familiar, as I call those Celestial creatures who are destined: some to regulate the motion of the Stars, others to inhabit the Elements, others to aid and direct men, and others again to sing continually the praises of the Lord. Thou mayest then, by the use of their seals and characters, render them familiar unto thee, provided that thou abusest not this privilege by demanding from them things which are contrary to their nature; for accursed be he who will take the Name of God in vain, and who will employ for evil purposes the knowledge and good wherewith He hath enriched us.
Je te commande Mons Fils, de bien graver en ta mémoire tout ce que je te dis, pour qu'il n'en sort jamais. Si tu n'avais le dessein de bien user des secrets que je t'enseigne; je t'ordonne de jetter plutôt ce Testament au feu que d' abuser du pouvoir que tu auras de contraindre les Esprits, car je t'avertis que ces Anges bienfaiteurs fatigués & lassés par tes illicites demandes, pourraient à ton malheur exécuter les Ordres de Dieu, aussi bien qu'à celui de tous ceux qui mal intentionnés abuseraient des secrets qu'il lui à plû me donner & reveler; ne crois pas pourtant mon Fils, qu'il ne te soit permis de profiter des biens & plaisirs que les Esprits Divins peuvent te rendre, au contraire, c'est pour eux un trés grand plaisir de rendre service à l'homme avec qui plusieurs de ces Esprits ont beaucoup de penchant & d'affinité, Dieu les ayant destinés à la conservation & conduite des choses Terrestres qui sont soumises au pouvoir de l'homme.
I command thee, my Son, to carefully engrave in thy memory all that I say unto thee, in order that it may never leave thee. [F adds: ou du moins, je t’ordonne que ("or, at least, I order that...")] If thou dost not intend to use for a good purpose the secrets which I here teach thee, I command thee rather to cast this Testament into the fire, than to abuse the power thou wilt have of constraining the Spirits, for I warn thee that the beneficent Angels, wearied and fatigued by thine illicit demands, would to thy sorrow execute the commands of God, as well as to that of all such who, with evil intent, would abuse those secrets which He hath given and revealed unto me. Think not, however, O my Son, that it would not be permitted thee to profit by the good fortune and happiness which the Divine Spirits can bring thee; on the contrary, it gives them great pleasure to render service to Man for whom many of these Spirits have great liking and affinity, God having destined them for the preservation and guidance of those Terrestrial things which are submitted to the power of Man.
Il y a de différentes sortes d'Esprits, selon les choses auxquelles ils président, ils y en a qui régissent le Ciel Empiré, d'autres le premier Mobile, d'autres le premier & Second Cristallin, d'autres le Ciel Etoilé, il y a aussi des Esprits au Ciel de Saturne que je nomme Saturnites, il y a des Esprits Jovials, Martials, Solaires, des Véneriens, Mercuriels & Lunaires; il y en a aussidans les Elémens aussi bien qu'aux Cieux, il y en a dans la Région ignée, d'autres dans l'Air; d'autres dans l'Eau, & d'autres sur la terre, qui tous peuvent rendre Service à l;homme, qui aura le bonheur de les Connaitre & de savoir les attirer.
There are different kinds of Spirits, according to the things over which they preside; some of them govern the Empyrean Heaven, others the Primum Mobile, others the First and Second Crystalline, others the Starry Heaven; there are also Spirits of the Heaven of Saturn, which I call Saturnites; there are Jovial, Martial, Solar, Venerean, Mercurial, and Lunar Spirits; there are also (Spirits) in the Elements as well as in the Heavens, there are some in the Fiery Region, others in the Air, others in the Water, and others upon the Earth, which can all render service to that man who learns their nature, and knows how to attract them.
Au surplus mon cher fils je t'ordonne de ne pas ensevelir cette Science mais d'en faire part à tes amis avec ordre de ne point profaner les choses Divines parce que bien loin de se rendre ami des esprits ce seroit le moyen d'en venir à la déstruction générale d'un chacun.
Furthermore, my beloved Son, I order thee not to bury this Science, but to make thy friends partakers in the same, subject however to the strict command never to profane the things which are Divine, for if thou doest this, far from rendering thee a friend of the Spirits, it will but be the means of bringing thee unto destruction.Il ne faut pas les prodiguer parmi les ignorans car ce seroit chose aussi blamable que celle de jetter des pierres précieuses devant des pourceaux, il faut au contraire que d'un Sage elle passe à un autre, pour que de cette maniére le trésor des trésors ne soit pas mis en oubli. / .
But never must thou lavish these things among the ignorant, for that would be as blameable as to cast precious gems before swine; on the contrary, from one Sage the secret knowledge should pass unto another Sage, for in this manner shall the Treasure of Treasures never descend into oblivion.FIN.
The End.
En conclusion, nous dirons que si la Préface à César s’inscrit dans un genre largement attesté, le rapprochement avec les Clavicules de Salomon nous semble le plus frappant. Rappelons cette mention des « Vaticinations perpétuelles » dans la Préface . Or, que sont les Clavicules sinon un système qui permet, en se servant d’une terminologie planétaire, de se passer des données astronomiques en les remplaçant par une forme de cyclicité numérique qui apparait du fait des emprunts au Livre de l’Estat et Mutation de Richard Roussat et qui renvoie à Trithème voire à Abraham Abenezra (Ibn Ezra) ?
Il nous semble que les lecteurs éclairés des XVIe et XVIIe siècles étaient peu ou prou familiers avec cette forme épistolaire - le père transmettant au fils - quand il s’agissait de révéler quelque enseignement tenu secret. Mais on n’imagine mal Michel de Nostredame user une telle forme en se prenant en quelque sorte pour Salomon ou pour Hermés Trismégiste. C’est bien plutôt à ses thuriféraires qu’il convient d’accorder une pareille démarche hagiographique. Ce genre épistolaire est intrinsèquement de l’ordre de la contrefaçon.
Autrement dit, l’œuvre nostradamique, plus que jamais, nous apparait comme dépassant le personnage et le temps de Nostradamus. On accède ici à la constitution d’un mythe.
JHB
06. 04. 12
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