L’hermétisme dans les premiers quatrains et dans la Préface à César.
Par Jacques Halbronn
Il semble que l’on puisse établir un lien entre les deux premiers quatrains du corpus centurique (qui au départ n’était pas divisé en centuries, cf. Ruzo Testament de Nostradamus(1982, Ed Rocher) sur l’édition Rouen du Petit Val 1588) et l’idée même d’une épître de Nostradamus à son fils (cf. nos précédentes études). Ces premiers quatrains viennent en fait confirmer notre thèse d’une influence hermétique chez les rédacteurs du dit corpus, dans la mesure où nous tendons à minimiser le rôle direct joué par Michel de Nostredame dans cette entreprise collective tant au niveau rédactionnel qu’exégétique.
Il importe de resituer le texte en prose qui a servi à la composition des deux premiers quatrains – ce passage de la prose aux vers étant un phénomène typique de la production centurique, que l’on se souvienne des emprunts à la Guide des Chemins de France ou plus largement de l’origine des quatrains(présages) des almanachs de Nostradamus (cf. notre post doctorat numérisé, sur propheties.it)
Au départ, il s’agit d’une réponse (« sur les solutions et difficultés ») d’un certain Abamon à une attaque de Porphyre (Ive siècle de notre ère) adressée à Anebo (-nom sous lequel Porphyre aurait en fait désigné Jamblique[1]) contre les mancies et dans les deux cas on a affaire à des épitres, l’une que l’on ne connait que partiellement (par reconstitution) et l’autre qui nous est apparemment parvenue dans son intégralité. Les deux textes comportent inévitablement quelques ressemblances puisque l’un répond à l’autre et le cite comme Couillard du Pavillon réagit (Prophéties, 1556) à un texte, perdu, de Nostradamus. Il y a eu de nombreux travaux académiques consacrés à ce corpus, tant en français qu’en anglais ou en allemand et il n’est pas étonnant qu’un beau jour quelqu’un ait fait le rapprochement entre un passage du Livre III des Mystères d’Egypte de Jamblique et le début de la première centurie. En revanche, la dimension épistolaire de l’hermétisme ne semble pas avoir été cernée comme ayant pu être à l’origine de la Préface de Nostradamus à son fils. (cf. nos précédentes études sur le site de Mario Gregorio, n°40 et se). Les Branchides (au sud de Milet( Carie), en Asie Mineure) étient une tribu de prétres se disant descendre de Branchus, fils d’Apollon et d’une milésienne ayant reçu le don de prophétie[2]. Ils seront par la suite déportés en Sodiane et y fondèrent la ville de Branchide.(source Wikipedia) Il ne semble pas que l’on puisse parler de prophétesses – ce sont des hommes - sauf en ce qui concerne l’épouse de Branchus.
Porphyre mentionne trois grandes écoles oraculaires : celle de Colophon (Apollon), celle de Delphes et celle des Branchides. « Les uns ont bu de l’eau comme le prêtre d’Apollon Clarios, à Colophon, les autres se tiennent auprès des gouffres,, comme celles qui prophétisent à Delphes, d’autres enfin sont insufflés par des eaux, comme les prophétesses des Branchides » En ce qui concerne les Branchides (ou Didymes, terme qui signifie les jumeaux), il s’agit de pétres du temple d’Apollon, à Didyme en Ionie.
What is it that takes place in divination? For example, when we are asleep, we often come, through dreams, to a perception of things that are about to occur We are not in an ecstasy full of commotion, for the body lies at rest, yet we do not ourselves apprehend these things as clearly as when we are awake.
Traduction anglaise du passage de la Lettre de Porphyre à Anebo consacré à la divination:
“In like manner many also come to a perception of the future through enthusiastic rapture and a divine impulse, when at the same time so thoroughly awake as to have the senses in full activity. Nevertheless, they by no means follow the matter closely, or at least they do not attend to it as closely as when in their ordinary condition. So, also, certain others of these ecstatics become entheast or inspired when they hear cymbals, drums, or some choral chant; as for example, those who are engaged in the Korybantic Rites, those who are possessed at the Sabazian festivals, and those who are celebrating the Rites of the Divine Mother. Others, also, are inspired when drinking water, like the priest of the Klarian Apollo at Kolophon; others when sitting over cavities in the earth, like the women who deliver oracles at Delphi; others when affected by vapor from the water, like the prophetesses at Branchidæ; and others when standing in indented marks like those who have been filled from an imperceptible inflowing of the divine plerome. Others who understand themselves in other respects become inspired through the Fancy: some taking darkness as accessory, others employing certain potions, and others depending on singing and magic figures. Some are affected by means of water, others by gazing on a wall, others by the hypethral air, and others by the sun or in some other of the heavenly luminaries. Some have likewise established the technique of searching the future by means of entrails, birds, and stars.” ( trad. Alexander Wilder, London: William Rider & Son Ltd. 164 Aldersgate Street, New York: The Metaphysical Publishing Co. 1911)
Ceux qui composèrent les deux premiers quatrains ne retiennent que le deuxième et le troisième cas et encore ne citent-ils nommément que le troisième, celui des Branchides. On pourrait fort bien concevoir un quatrain reprenant des éléments concernant le premier cas. Peut- être fut-il composé, qui sait ? Toujours est-il qu’il faut attendre que le dit Abamon, que l’on identifie généralement à Jamblique, aborde l’exemple de Delphes pour que des mots fassent écho au premier quatrain :
« Que la prophétesse de Delphes rende aux hommes ses oracles grâce à un souffle subtil, igné, exhalé de quelque fissure par le gouffre ou qu’elle prophétise assise dans le sanctuaire sur un siège de bronze à trois pieds ou encore sur le siège à quatre pieds consacré au dieu, de toute manière, elle se livre ainsi au souffle divin et est illuminée par le rayon du feu divin » (trad. Edouard des Places (SJ), Les Belles Lettres, Paris 1993, Préface de François Viéri, p. 89, Livre III, 11)
Ce qui donne au niveau des quatrains nostradamiques :
Estant assis de nuit secret estude
Seul repoussé sus la selle d’airain
Flambe exigue sortant de solitude
Fait proférer qui n’est à croire vain »
On trouve « Assis » à la place d’ »assise » et « selle d’airain pour « siège de bronze » et « flambe » pour « feu » et « igné’. Visiblement, on n’aura pas souhaité garder la dimension féminine du texte en prose.
Et il en sera de même pour le troisième cas :
« La prophétesse des Branchides, elle, qu’elle soit remplie de la clarté divine en tenant la verge qui lui a été à l’origine transmise par un dieu ou qu’elle prédise l’avenir sur un essieu ou que en trempant de l’eau ses pieds ou une tresse ou en se laissant insuffler par l’eau, elle reçoive le dieu etc. «
Ce qui donne pour le deuxième quatrain de la première Centurie :
« La verge en main mise au milieu de Branches
De l’onde il moulle & le limbe & le pied
Un peur & voix frémissent par les manches
Splendeur divine. Le divin près s’assied »
Si le premier quatrain était marqué par le feu, le deuxième l’est par l’eau. On retrouve la « verge » et bien entendu le mot Branches, pour Branchides, onde pour eau.
Ajoutons que le texte même de la Préface comporte « exigue flamme » puis plus loin « flambe exigue », expressions qui se retrouvent dans le premier quatrain.
Cette Lettre apologétique d’Abamon (en hébreu Ab : le père) alias Jamblique censée être adressée à un disciple ayant été le destinataire d’une Epitre critique de Porphyre à Anébon n’est évidemment pas sans s’apparenter au genre de la révélation épistolaire, d’autant plus que le dit Abamon répliquant aux doutes de Porphyre s’adresse à lui non sans une certaine condescendance comme on le ferait à l’intention d’un fils qui a encore beaucoup à apprendre. Il nous a donc paru souhaitable de souligner que les deux premiers quatrains étaient tirés d’une correspondance.
Mais ceux, comme Pierre Brind’amour, ont relevé une telle ‘filiation » textuelle n’ont pas signalé, dans leurs travaux, que le genre même de la Préface à César relevait de la littérature « hermétique ».
Pour en revenir à l’adresse de Salomon (Clavicules de Salomon), à Roboam (Rehoboam, en hébreu) responsable du schisme qui coupera en deux le royaume-la fortune de ce texte est assez étonnante puisque le XXe siècle lui accordera encore plusieurs éditions. Ainsi, Papus, avec son Traité Elémentaire rebaptisé Méthodique de Magie Pratique, dont on connait encore une édition en 1973 chez Dangles, reprend le «Discours de Salomon à Roboam son fils « (pp 466-467) sous une forme résumée (attribuée à Mgr Barrault, archevêque d’Arles, vers 1640). Ce Discours sous sa forme concise se prête à une comparaison assez flagrante dont nous avons déjà traitée dans une version plus longue : cela commence carrément par « Mon fils Roboam » et sur le ton du testament : » « J’ai cru en mourant devoir te laisser un héritage plus précieux que toutes les richesses dont je jouis ». La forme « mon fils « apparait 4 fois sur les 2 pages. Mais cela n’aura pas suffi apparemment aux dernières générations de nostradamologues. Certes, dans la Préface à César, Nostradamus n’évoque pas directement sa mort mais tout indique que vu le très jeune âge de l’enfant, on est bel et bien dans ce cas de figure encore que Nostradamus prenne la peine de préciser « si tu vis l’âge naturel & humain » car un enfant en bas âge peut fort bien ne pas survivre à son père.
C’est probablement l’occasion de mettre en garde contre un bagage insuffisant chez nombre de chercheurs dans ce domaine qui ne connaissent que le corpus nostradamique au sens étroit du terme. Si le nom de Nostradamus ne figure pas dans un texte ils ne s’y intéressent pas. C’est ainsi que des bibliographes lyonnais comme Chomarat ou Benazra n’avaient pas intégré (en 1989/1990) la production Coloni, dont l’iconographie était pourtant, dans les années 1570, reprise du corpus nostradamique et dont la Bibliothèque Municipale de Lyon La Part Dieu comportait des exemplaires. Une Chantal Liaroutzos a enrichi en 1986 la recherche des sources dans le sens des ouvrages de voyages. En ce qui nous concerne, notre thèse d’Etat sur Le texte prophétique en France (1999, sur propheties.it) évitait de se limiter au seul corpus Nostradamus, en mettant en évidence des procédés de redatation qui étaient assez commun dans le genre et dont l’existence dans le dit corpus n’aurait pas du surprendre.
On notera que Marsile Ficin traduira tant les Mystères d’Egypte de Jamblique que le Corpus Hermeticum, les deux ouvrages recourant l’un comme l’autre au genre épistolaire.
JHB
12. 04.12
[1] Letter to Anebo, ed. A.R. Sodano, Porfirio. Lettera ad Anebo, Naples: L'Arte Tipografica, 1958.
[2] Cel fait penser aux Juifs, en quelque sorte peuple de prétres, où la religion est liée à la filiation
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