Wednesday 1 February 2012

“Nous avons de lui d’autres présages en prose (…) redigez en douze livres.”

 

3 « Nous avons de lui d’autres présages en prose (…) redigez en douze livres ». »

Elles sont conservées, en 12 regroupements, dans le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques. Chavigny y insérera les quatrains des almanachs repris dans le Janus Gallicus, mais ne commentera la prose que dans les Pléiades (1603). Ses lecteurs pouvaient se référer à l’édition Rigaud des centuries tirées des almanachs comme des éditions centuriques. En fait, Chavigny, pour arriver à 12, recourt à un expédient en rassemblant en un seul « extrait » les années 1550, 1552, 1553, 1554 et 1555 (cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, pp. 193 et seq) puis en un deuxième 1556 et 1557, ce qui donne bien 12, puisqu’ensuite on a 1558, 1559, 1560, 1561, 1562, 1563, 1564 ; 1565, 1566, et 1567.

Mais à quoi ressemblaient les toutes premières éditions qui apparaissent au milieu des années 1580 ? Nous disposons in extremis d’une édition très ancienne, grâce à l’édition de 1588, du libraire rouennais Raphaël du Petit Val. In extremis car il s’agit là d’un unicum et que celui-ci n’est pas actuellement, à notre connaissance, accessible. Heureusement, son ancien possesseur Daniel Ruzo l’a décrit assez précisément dans le Testament de Nostradamus (Le Rocher, 1982). In extremis aussi parce que le contenu de cet exemplaire ne correspond pas au titre qui est celui d’une édition plus tardive. Il n’est pas contrairement à son titre divisé en 4 centuries mais se présente d’un seul tenant, avec ses 349 (et non 353) quatrains.

Une autre importante lacune de notre documentation concerne les premières éditions des centuries VIII-X. Il apparait en effet que nous ne disposons que d’éditions retouchées, cela ressort de la juxtaposition dans l’Epitre à Henri II de l’année 1585 et de l’année 1606, notamment dans l’édition Cahors Jaques Rousseau 1590. Il nous manque une édition sans la mention 1606 surajoutée. Certains quatrains vont dans le même sens d’additions tardives, comme le quatrain appartenant à la « queue » des trois dernières centuries, X, 91 qui mentionne en clair l’année mille six cents neuf. C’est à la fois une date trop proche et trop tardive : trop proche pour relever d’une computation cyclique à très long terme et trop tardive pour correspondre à des enjeux immédiats, si l’on ne se place pas dans une antériorité bréve de quelques années au plus. L’Epitre à Henri II a d’ailleurs certainement été réactualisée pour être en prise sur le début du XVIIe siècle puisque l’on y trouve- sans que ce soit d’ailleurs explicité dans le texte - les positions planétaires de l’année 1606 qui ne font sens que pour les contemporains. Autrement dit, aucune première édition Rigaud néo-centurique « 1585 » ne nous serait parvenue et ce que nous connaissons- type « 1606 »- appartient à une période correspondant aux dix dernières années du régne d’Henrti IV . Il nous apparait que ce temps fut particulièrement propice au nostradamisme si l’on en croit le nombre d’éditions ayant ce profil, cela correspond d’ailleurs à l’émergence des sixains morgardiens qui seront ensuite intégrés dans le canon centurique, lesquels sont truffés de dates appartenant à la première décennie du dit XVIIe siècle. En ne replaçant point cette série d’éditions au début du XVIIe siècle, l’on risque fort de commettre une grave erreur de perspective, d’autant que c’est dans ce contexte politique que nombre de quatrains font sens. Nous ajouterons que lorsque l’on examine les échéances figurant dans la production de Nostradamus, celles-ci touchent –pour ce qui est des échéances pour la fin du siècle, plus aux années 1570 qu’aux années 1580. Il faudra attendre le néo-nostradamisme pour que la décennie suivante soit en ligne de mire, ce qui correspond à un nécessaire recyclage de tout texte prophétique.(cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France) s’opérant souvent à l’économie par un simple changement de chiffre. Cela ressort notamment des différentes moutures d’épitres de Nostradamus au Pape Pie IV, au début des années 1560 (cf notre Post Doctorat).12 .

Nous sommes là confrontés au probléme des rééditions qui ne se présentent pas comme telles. On comprend ainsi pourquoi les éditions Rigaud 1568 ne se présentent pas comme posthumes et ne comportent pas un appareil nécrologique car elles ne seraient que des rééditions de parutions du vivant de Nostradamus, et notamment du diptyque Antoine du Rosne, dont manque le second volet.(VIII-X). L’absence aléatoire du second volet aura conduit les nostradamologues à privilégier la thèse d’une parution d’abord posthume mais cela ne vaut, en fait, que pour le recueil évoqué par Du Verdier, en 1585, dans sa Bibliothèque réunissant tous les quatrains récupérés dans les divers almanachs et pronostications( dans le cas de l’année 1555). Il semble que l’on ait oscillé entre les deux thèses et l’on trouve ainsi des arguments dans les deux sens.

. Dans les années 1590, à commencer par le Janus Gallicus de Chavigny, la présentation posthume est exposée : »M. Michel de Nostredame jadis conseiller & médecin des rois Tres Chrestiens etc ». Qui plus est, on y trouve un « Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostradame etc « ainsi que des exemples de la valeur prophétique des quatrains. On notera que dans ce texte nécrologique, il est fait référence à César de Nostredame et il semble pour la première fois en dehors de la préface qui lui est adressée et des Prophéties du Seigneur du Pavillon Les Lorriz.

Comment peut-il se faire qu’une telle présentation ne soit apparue qu’en 1594 alors que des éditions des centuries circulent depuis au moins 1588 ? Nous pensons, d’ailleurs, raisonnable de supposer que le « Brief Discours » a du figurer au sein de la réédition en un seul volume de ses quatrains mensuels puis intégrée, au prix de quelques retouches, dans une perspective néo-centurique.

On notera que la fausse édition Pierre Rigaud 1566, fabriquée à Avignon vers 1716, comporte la reproduction de la pierre tombale de Nostradamus, ce qui n’est pas le cas des éditions Benoist Rigaud 1568 qui sont marquées par l’absence totale de référence au décès du dit Nostradamus.

D’ailleurs, toutes les éditions qui portent le titre « Prophéties » ont en commun l’absence de tout appareil nécrologique, biographique, méthodologique (mode d’emploi), exégétique alors que les éditions dotées d’autres titres en comportent un. Les Vrayes centuries et prophéties (…) avec la vie de l’autheur (..) et plusieurs de ses Centuries expliquées….

Les éditions troyennes – que nous situons à la fin des années 1630, qui paraissent sous le nom de Prophéties ne comportent un élément posthume que dans le troisième volet, avec l’Epitre à Henri IV, datée de 1605, introduisant les sixains en s’intitulant « Prédictions admirables (…) recueillies des mémoires de feu M. Michel Nostradamus (de son) vivant médecin du Roy Charles Ix etc ».

Nous sommes donc en présence de deux écoles qui se perpétuent parallèlement. Etrangement, il semble que ce clivage se soit maintenu jusqu’à nos jours, parmi les nostradamologues, entre tenants d’éditions du vivant de Nostradamus et tenants d’éditions parues bien après sa mort.

L’étude des éditions centuriques existantes fait apparaitre des divergences majeures : d’une part des éditions qui se succèdent par des additions successives, arguant du fait que tout n’est pas divulgué d’une seule traite et d’autre part, des éditions antidatées qui se présentent comme d’un seul tenant et qui effacent toute marque interne d’addition, et dont une des pièces majeures semble être une édition disparue, celle du second volet introduit par l’Epitre à Henri II et qui serait parue dès 1558, à la veille de la mort du dit Henri, en 1559. Cette pièce a d’ailleurs due être bel et bien fabriquée et adjointe au premier volet, dès 1557 ou 1558 venant compléter le premier volet de 7 centuries censé être paru dès 1555. Mais là encore l’édition 1555 à 7 centuries a disparu..On aurait pu se rabattre sur une édition à deux volets, chez Antoine du Rosne, 1557, mais comme on l’a dit, le second volet de l’exemplaire Utrecht a disparu. Force est donc de s’en tenir à l’édition Benoist Rigaud 1568, donc posthume sans l’être, puisque supposée copie de la dite édition Antoine du Rosne Utrecht.. Cette édition Rigaud ne porte en effet aucune marque propre à une édition posthume.

Parmi les pièces manquantes, ajoutons le cas des premières éditions séparées des centuries VIII-X, dont l’orientation politique est assez incompatibles avec les centuries I à VII.. Or, on ne les connait que dans le cadre de volumes à 10 centuries. Il est plus que probable que le canon centurique, à différentes époques, a consisté à rassembler des pièces séparées.

Dès lors que chaque camp peut profiter indéfiniment des carences du corpus de l’autre camp, il semblerait que les uns et les autres restent sur leurs positions respectives ; dans une sorte d’équilibre qui peut cependant être rompu par l’émergence d’un nouveau facteu.

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