Wednesday 27 June 2012

Le cas des “Propheties de Nostradamus”

 

Le cas des “Propheties de Nostradamus”

Par Jacques Halbronn

La récente découverte d’une pièce nostradamique inédite par Theo Van Berkel, laquelle pièce était signalée dans le catalogue de la Bibliothèque d’Etat de Russie, Moscou, mais non encore décrite ou reproduite, nous conduit à nous interroger sur le statut de la série appelée « Prophéties de Nostradamus » et qu’il convient de distinguer des autres séries selon un certain nombre de critères dont il ne semble que l’on n’ait point jusque là saisi toute l’importance. Il s’agit de la Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte (sic) du discours de ses commentaires selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, médecin à Ausonne. Imp: Benoist Rigaud, Lyon, 1568. 15 (1) p.

(cf. notre étude “Du nouveau sur l’origine des éditions 1568, Benoist Rigaud)

Cela fait déjà plusieurs années que nous avons signalé à quel point il convenait d’accorder de l’importance à la façon dont le nom de Nostradamus était accommodé et introduit. Dans notre ouvrage Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus (Ed Ramkat, 2002), nous avions ainsi abordé une série de trois ouvrages associés à l’année 1557, qui tous trois présentaient de la même façon Nostradamus : à savoir « Maistre Michel Nostradamus » (Présages merveilleux pour 1557 et l’Almanach pour 1557) ou « Maistre Michel de nostre Dame »(La Grande Pronostication pour l’an 1557)

Comment se fait-il donc qu’à certaines occasions, on trouve uniquement Nostradamus ou Michel Nostradamus, sans marque préfixale que l’on peut juger honorifique. Les adversaires de Nostradamus de son temps, se gardent bien d’y recourir et l’on trouve soit des anagrammes, soit uniquement le nom de famille, soit prénom et patronyme sans marque honorifique. On pense en 1560 aux Contreditz aux faulses & abusifves propheties de Nostradamus. On y retrouve la même forme « propheties de Nostradamus » que signalé pour l’ouvrage conservé à Moscou, mais nous verrons (dans un autre article) que la formule est trompeuse car il faut lire la suite du titre « prophéties de Nostradalus & autres astrologues » . Un autre cas – car ils ne sont pas si fréquents – se trouve chez Balthazar Guynaud dans le titre de sa Concordance des Propheties de Nostradamus (1693,1709 et 1712). Rappelons que le dernier tiers du XVIIe siècle est marqué, selon nous, par la résurgence d’exemplaires très anciens (à commencer par la traduction anglaise de 1672, dont on ne connait pas d’original français antérieur). Sauf erreur de notre part, cette forme « Nostradamus » et non point «M. » ou « Maistre » n’apparait qu’associée au mot « Propheties », sauf dans un cas, qui est de très loin le mieux représenté, à savoir les cas où sous ce nom sont proposées des centuries de quatrains (1555, 1557, 1568, 1588, 1589 etc.) « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus » Même la série « Les grandes et merveilleuses prédictions » comportent « M. Michel Nostradamus ». on a donc là un nouveau clivage entre Prophéties de Michel Nostradamus et Prophéties de M. Michel Nostradamus. Une seule lettre de différence mais qui nous apparait comme tout à fait déterminante.

Signalons des variantes en 1612 « Discours sur ce qui s’est passé à l’arrivée de Monsieur le Duc de Pastrane (…) avec l’explication d’une Propheties de Nostra-Damus » en 1612 et en 1627 Les heureuses advantures du sieur de Soubise (…) avec les Centuries de Nostradamus » (cf Benazra, RCN, p. 187)

Au temps de la Fronde, il n’est pas rare que le nom de Nostradamus soit présenté sans préfixe comme pour ces Visions astrologiques de Michel Nostradamus, en 1649.

Regardons à présent l’Extrait des registres de la Sénéchaussée de Lion (sic), en date du dernier jour d’avril 1555 : il y est mentionné « Les propheties de Michel Nostradamus » (en tête de l’édition Macé Bonhome, 1555) alors que la page de titre donne « Les Propheties de M. Michel Nostradamus ». Autrement dit le titre ne correspond pas strictement à la désignation de l’ »Extrait des registres », du fait de ce « M. » qui figure pour un groupe et pas pour un autre. Nous voulons y voir une anomalie, ce qui vaudrait pour toutes les éditions des Propheties comportant des centuries de quatrains.

Quelles conclusions tirer de ces observations ? Il nous semble que les faussaires qui eurent la charge de produire des centuries de quatrains sous le nom de Propheties optèrent pour la formule réservée à l’Almanach d’une part et à la Pronostication, de l’autre, ce qui les induisit en erreur.. Or, la forme sans « M. » est attestée par l’ »Extrait de la Sénéchaussée » d’avril 1555 à propos des Prophéties. Cet Extrait est probablement authentique mais associé à un contenu qui ne l’est point. On notera que si Pronostication est introduite par l’article défini pour 1557 mais sans article pour 1558, ce n’est pas le cas de l’Almanach qui apparait toujours au titre sans article.

S’il n’avait pas existé des Prophéties de Nostradamus du temps du « Mage » de Salon, on n’aurait pas produit une série de Prophéties censées êtres parues de son temps. Mais les faussaires se sont trahis en adoptant la forme pratiquée (M. Michel Nostradamus » (ou Maistre) dans les almanachs et/ou les prognostications et non celle propre aux Prophéties, ce dont témoigne Antoine Couillard du Pavillon, en 1560 (cf supra), Prophéties de Nostradamus ou de Michel Nostradamus.

On notera que la traduction de la Paraphrase de C. Galen sus l’exortation de Menodote comporte « Michel Nostradamus » et non « M. (ou Maistre) Michel Nostradamus », alors que les autres ouvrages censés parus chez le même libraire (les Prophéties, 1557à, à savoir Antoine du Rosne, comportent le « M. » initial.

Il faut rappeler le problème des vignettes qui est parallèle à celui des préfixes de civilité : les vignettes des almanachs de Maistre M. Michel Nostradamus diffèrent de celles des Prophéties à centuries que l’on trouve sur la page de titre de la Paraphrase. (1557, 1558). Notons que les Almanachs authentiques de Nostradamus n’ont pas de vignette, alors que dans le cas de contrefaçons comme celles commises par Barbe Regnault, on trouve celles qui serviront pour les Prophéties à centuries. Là encore, il y a des codes.

Etant donné que nous ne disposons d’aucune édition authentique et complète des Prophéties de Nostradamus, nous n’en connaissons pas le contenu. Nous pensons qu’il ne s’agissait aucunement de ce que l’on nous présente en vrac sous ce titre mais bien de formules lapidaires datées pour telle année, éventuellement pour tel mois voire tel jour, dans le style des Prophéties Perpétuelles pour de longues séries d’années, genre dont, selon nous, elles relèvent.

Nous pensons que Nostradamus ne valorisait guère ce travail et qu’il ne s’y affichait pas comme médecin, peut être parce que c’était interdit à cette corporation, du fait des procédés assez primaires de calcul, au regard de la science astronomique. Cela expliquerait donc qu’il ne se présente pas sous son jour officiel, avec ses titres. On peut même se demander s’il en était réellement l’auteur ou s’il se contentait de laisser y mettre son nom, ce qui selon nous se produisait aussi pour les publications annuelles qu’il ne faisait qu’ébaucher et que d’autres complétaient. (cf. « Vers une nouvelle approche de la bibliographie centurique »Revue Française d’histoire du Livre, n° 132, 2011) On comprend que pour sa traduction de Galien (cf. supra), il n’ait pas non plus voulu se présenter « en gloire » car c’était une tâche assez subalterne. Il n’est donc pas non plus ajouté après le nom la fonction. On notera cependant que les diverses éditions contrefaites des Prophéties-Centuries dans les années 1550-1560 ne signalent pas la qualité de médecin de Nostradamus à la différence des almanachs et prognostications. Il y a donc tout un jeu sur les préfixes et les suffixes qui sont en œuvre avec des solutions bancales pour les éditions antidatées des Centuries, qui comportent la préfixation (« M., Maistre ») mais non la suffixation (« docteur en médecine de Salon de Craux en Provence »). C’est là une cotte mal taillée ;

C’est donc le non respect des divers codes en vigueur qui nous permettent notamment de signaler ce que l’on pourrait appeler des anachronismes en ce qui concerne le lancement de contrefaçons.

On a pu croire que l’absence de marques de courtoisie était le fait d’adversaires de Nostradamus, (cf Benazra, RCN, pp. 31-33) qui utilisent aussi des formes comme Monstradamus, Monstre d’Abus, dans les années 1550. On pense à la Déclaration des abus, ignorances et seditions de Michel Nostradamus, Avignon, Pierre Roux. (BNF). Mais nous pensons qu’encore une fois, le second XVIIe siècle, à partir des années 1670, renoue avec des documents d’origine. C’est ainsi que l’édition anglaise de 1672 qui comporte un état particulièrement ancien, selon nous, de la Préface à César, s’intitule The True Propheties or Prognostications of Michael Nostradamus. A la même époque, le chevalier de Jant publie ses « Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus » (cf Benazra, RCN, pp ; 246-247) et surtout nous attachons de l’importance à la Concordance de Guynaud, qui emploie en son titre la forme « Propheties de Nostradamus ». En 1701, on trouve l’Abrégé de la vie de Michel Nostradamus. La dualité des formules employées perdure ainsi d’un siècle à l’autre. En 1710, parait La Clef de Nostradamus, isagoge ou introduction au véritable sens des Prophéties de ce fameux auteur, Paris (BNF)

En 1572, donc après sa mort (1566) paraissait en allemand un texte intitulé « Michaelis Nostradami, Dess Weltberühhmten (…) philosophi, astrologi und Medici zwey Bücher « . L’absence des préfixes n’est nullement ici un signe d’hostilité puisqu’il est précisé que sa renommée est mondiale .(weltberuhmt) et cela ne concerne pas seulement le texte ainsi introduit consacré aux fardements et aux confitures.

Vu rétrospectivement, trois types de textes circulent au XVIe siècle créant une certaine confusion : ceux qui signalent les qualités (préfixe, suffixe) de Nostradamus, ceux qui ne recourent pas au préfixe et ceux, contrefaits, qui recourent au préfixe mais dont le contenu correspond à ceux qui n’y recourent pas.

Le cas de l’Extrait de la Sénéchaussée de Lyon est assez révélateur puisqu’il ne comporte pas de préfixe pour Nostradamus alors que son titre en comporte un. Quelle maladresse de la part des faussaires qui entremêlent le vrai et le faux, seule façon d’ailleurs de donner le change, à condition que cela ne se retourne pas contre vous. Il est évident que de nos jours, ce critère ne fait plus guère sens et que la forme non préfixée l’a emporté, sauf dans le cas de reprints ou d’éditions critiques mais il importe justement de se replacer dans le contexte de l’époque et de déceler les traces d’une dualité de formulation dès les années 1550 . Tout se passe en fait comme si l’on avait affaire à une forme d’un seul tenant : « Prophéties de (Michel) Nostradamus » que l’on retrouve dans cette pièce oubliée tout au long du XXe siècle par les chercheurs alors qu’elle est conservée dans la principale bibliothèque de Moscou. Selon nous, cette pièce, quel que soit son caractère satirique ou hagiographique- ce qui ne ressortira que de son examen quand celui-ci sera possible- comporte des expressions tout à fait intéressantes (cf. notre étude sur ce sujet) à commencer par cette forme en quelque sorte générique « Propheties de Nostradamus. ». Le choix des expressions est déterminant : tout semble indiquer que l’almanach obéissait à d’autres règles que la prognostication et qu’il en était de même pour les prophéties, constituant ainsi un triptyque, ce qui ressort d’ailleurs, comme l’a montré Gérard Morisse, des registres de libraires. Ces publications ne paraissaient pas au même moment, la Prognostication débutant au printemps (avec 4 entrées) et l’almanach en janvier (avec 12 entrées). Quant aux Prophéties, on devait les écouler tout au long de l’année puisqu’elles couvraient toute une série d’années (dans le style des Prophéties Perpétuelles de Moult, au xVIIIe siècle, dont certaines éditions sont d’ailleurs associées à Nostradamus (cf l’édition de Volguine, Nice, 1940, réédition 1977), avec des commentaires relatifs aux extraits de telle année comme dans le cas de la pièce moscovite (pour 1568).

Il est pour le moins paradoxal que ce troisième genre soit à la fois aussi fortement représenté au regard des contrefaçons et aussi peu attesté, sous la forme qui lui incombait, au regard des documents conservés et qu’à l’inverse les productions authentiques conservées ne relèvent pas du genre centurique.

Il reste que le mot même de Prophéties aura connu des usages et des acceptions fluctuantes. Nous verrons dans un prochain article qu’il peut, chez un Antoine Couillard, à tort ou à raison, peu importe, être associé au travail des astrologues et n’avoir aucune conotation oraculaire et encore moins biblique. En quelque sorte, les astrologues seraient les »nouveaux prophétes », pour recourir la rhétorique couillardienne, c'est-à-dire des prophétes qui se légitiment non plus par quelque inspiration divine mais par le recours à quelque savoir d’origine astronomique. Or, à la fin du XVIe siècle semble bien s’être produit un glissement vers une sorte d’astro-prophétisme (cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Ed. du Septentrion, et sur propeties.it, ainsi que sur le SUDOC), avec un retour en force des prophéties des Saints et des Saintes, à preuve le fait que les Prophéties de M. Nostradamus sont vendues au XVIIe siècle, conjointement avec le Recueil des prophéties et révélations tant anciennes que modernes contenant un sommaire des revelations de saincte Brigide, S. Cyrille & plusieurs autres Saincts & religieux personages (cf Benazra, RCN, p. 172).
Une telle évolution est cause d’anachronisme, chez les historiens, en ce sens que l’on interpréte des textes datant des années 1550-1560 en recourant à une grille inadéquate. Or, force est de constater que le contenu même des textes associés au nom de Nostradamus a lui aussi changé de nature et que l’on sera passé d’une production axée sur des données astronomiques à une sorte de poésie pseudo-prophétique, dont les diverses productions des uns et des autres se retrouveront placées, sous la Ligue, au sein d’un même corpus sous la houlette d’un Nostradamus mythifié. Il est des critères qui valent pour une époque et non point pour une autre : le fait que le nom de Nostradamus soit ou non préfixé n’a évidemment pas le même sens au XVIe et au XVIIe siècles et chez Guynaud, à la charnière avec le XVIIIe siècle, l’absence de préfixe correspond à une évolution qui s’est confirmée depuis. De nos jours, il ne viendrait à l’esprit de personne de parler des Prophéties de M. Michel Nostradamus ou de Maistre Michel Nostradamus.
D’où l’intérêt de la pièce russe qui en 1568 témoigne d’une pratique atypique pour l’époque mais attestée par l’Extrait des registres de la Sénéchaussée de Lion, déniché par les faussaires pour faire plus vrai et dont ils n’avaient pas compris qu’il était en porte à faux avec le titre proposé pour leur contrefaçon, dans leur ambition de substituer un contenu à un autre sous un même intitulé et confondant les pratiques des almanachs et des pronostications avec celles des prophéties (perpétuelles).

JHB

21. 06. 12

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