Tuesday 26 June 2012

Une vraie fausse préface à César

 

Une  vraie fausse préface à César
Par Jacques Halbronn


La question n’est pas tant si le texte de la Préface à César est bien du Nostradamus que de déterminer si ce texte avait bien été adressé au dit César par son père..
Nous disposons de trois textes se recoupant partiellement :  les Prophéties du Seigneur du Pavillon,  la Déclaration de Videl et bien entendu la Préface à César en tête des Prophéties de M. Michel Nostradamus.  Si l’on admet que Couillard a largement recopié Videl, est –ce à dire par ailleurs que Videl avait eu connaissance de la dite Préface  à César et des Centuries qui l’accompagnent dans le corpus centurique ?
Il y a certes quelques points qui prêtent  à confusion : d’une part c’est Couillard qui signale le nom de César ainsi qu’une épitre  de Nostradamus, mais sans indiquer que la dite épitre est adressée à César et de l’autre, on trouve dans son texte des passages qui se retrouvent dans la Préface à César mais que Couillard n’associe pas explicitement à Nostradamus.
Qu’apprenons concernant la genèse de la Préface à César, telle que nous la connaissons dans le corpus centurique, tout en rappelant qu’il en existe au moins deux versions sensiblement différentes  du fait de la résurgence en 1672 à Londres d’une version (traduite en anglais mais que l’on retrouve chez Antoine Besson, vingt ans plus tard, sous sa forme d’origine) qui nous semble plus ancienne et au demeurant nettement moins défectueuse ?
Il convient de rappeler  l’usage qui est fait à la fin du XVIe siècle  de la littérature anti-nostradamique pour combler les lacunes de la documentation (cf.  B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Ed. Seuil, p. 283). C’est ainsi que pour reconstituer les Présages Merveilleux pour 1557 que l’on n’a plus sous la main (mais qui ont été retrouvés depuis),  l’on recourt, comme il est dit dans le Recueil des Présages Prosaïques (1589, conservé à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu, à la réserve), »à un des haineux de l’auteur », « retirez  d’un sien livre imprimé à Paris 1558 ». Il s’agit  du Monstre d’Abus d’un certain Jean de La Daguenière, qui s’en prend en effet, notamment, au fait que Nostradamus ait consacré une épitre à Henri II. (cf. nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, éd. Ramkat, 2002). Au demeurant, cette épitre diffère sensiblement de celle qui figurera en tête du second volet des Centuries  et qui ne sera plus datée de 1556 mais de 1558. Apparemment, au moment où cette note est rédigée, au sein du dit Recueil des Présages Prosaïques, on n’avait pas encore connaissance de l’Epitre à Henri II placée en tête du second volet, car il eut été logique de s’y référer. En effet, il est indiqué « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy Tres Chrestien ». Ce qui confirme nos positions en faveur d’une émergence tardive du second volet, postérieure à celle du premier, attestée sous la Ligue dès 1588 et qui pourrait ne pas être parue avant 1593, le Janus Gallicus y faisant des emprunts en 1594. Or, c’est le même Jean Aimé de Chavigny dont le nom figure à la page de titre du dit Recueil en 1589 et à celle du Jani Gallici  facies..prior, cinq ans plus tard.  Entre temps, le corpus centurique  aura sensiblement évolué.  L’histoire se complique du fait que le seul exemplaire existant des Présages Merveilleux qui nous soit parvenu comporte étrangement- et probablement par erreur, un assez long passage issu d’une attaque contre les dits Présages.(cf notre étude à ce sujet), ce qui soulignerait  à quel point  il aura été fait recours aux « haineux » pour reconstituer certaines pièces, voire pour les recycler sous une autre forme comme dans le cas de la Préface à César qui nous semble être un patchwork de divers extraits repris de Nostradamus.
En effet, le sort des deux Epîtres centuriques, celle à César et celle  à Henri II   semble  bien avoir dépendu de cette production des « haineux ». Cela est reconnu en ce qui concerne l’épître au Roi- dont le cadre général est conservé - mais cela semble bel et bien avoir été aussi le cas pour la Préface au fils de Nostradamus, mais cette fois à partir non plus du Monstre d’Abus (dont le titre d’ailleurs n’est pas fourni dans le Recueil) mais à partir de la Déclaration de Videl ou à partir des Prophéties du Seigneur du Pavillon.
Mais est-ce à dire que les passages qui se trouvent dans ces deux pièces aient jamais fait partie de quelque texte adressé à César ?
Evidemment, si l’on part du postulat selon lequel la Préface à César serait authentique, l’on peut toujours s’amuser à mettre en évidence tous les recoupements mais ici le débat tourne précisément sur l’éventualité d’une contrefaçon, comme dans le cas de l’Epitre à Henri II. On laissera donc cette « méthode » de côté et l’on se posera la question suivante ; qu’est ce qui dans ces deux textes se réfère à César ? Réponse : le nom de César est mentionné à propos d’une terrible épitre, sans qu’il soit en aucune façon indiqué que la dite épitre lui était adressée,  ce qui aurait d’ailleurs été assez étrange. Quel décalage avec les Grands auxquels Nostradamus adresse ses publications : pour 1557, Catherine de Médicis, Antoine de Bourbon roi de Navarre et Henri II. Excusez du peu. Nous avons montré dans d’autres textes la probable influence d’un certain genre hermétique axé sur l’Epitre au fils, ce qui nous renseignerait plutôt  sur la formation des faussaires, qui marque notamment les deux premiers quatrains de la première Centurie.
Selon nous,  les dits faussaires, voyant le nom de César mentionné dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon (elles-mêmes signalées dans les Contredits à Nostradamus) dans le seul passage qui mentionne le nom de Nostradamus auront jugé  bon de récupérer des passages des dites Prophéties pour composer une Préface à César. Par la suite, des historiens de la question, ayant découvert que  la Déclaration  de Videl comportait grosso modo  les mêmes extraits que Couillard  et notant que le dit Videl critiquait les travaux de Nostradamus auront bouclé le dossier. On avait bien là deux « témoins » de l’existence de la Préface et donc d’une éditons des Centuries à cette date, par-dessus le marché. Quelle aubaine !
Cela n’empêche nullement  que les passages concernés ont toutes les chances d’être de la plume de Nostradamus, vu le contenu très axé sur Nostradamus  de la Déclaration de ce Laurent Videl, mais pas sous la forme exacte d’origine puisque ce ne sont que des éléments épars. Etant donné l’étendue de la documentation nostradamique de Videl, et le fait que plusieurs des pièces qu’il cite ne nous sont pas parvenues – on pense à tout ce qui précède les publications pour 1555- et ne remonte-t-il pas jusqu’en 1552 ?- on peut tout à fait supposer qu’il donne là des extraits de certaines épitres propres aux publications citées et pas nécessairement adressées à César d’autant que celui-ci ne naquit qu’à la fin de 1553. En outre, ces passages ne sont pas nécessairement extraits d’épitres mais du corps des textes concernés qui leur font suite encore que certaines épitres aient pu paraitre isolément –(cf. le cas des Significations de l’éclipse de 1559,  en fac simile en annexe dans B ; Chevignard, op. cit).
On se demandera donc si les faussaires se sont servis de Couillard ou de Videl ou bien des deux à la fois pour composer leur Préface à César.  On notera que Videl ne mentionne pas le nom de César. On peut donc penser que les dits faussaires sont passés par Couillard, lequel a pu emprunter à Videl qui nous apparait comme ayant produit à l’époque l’ensemble le mieux documenté et renseigné et qu’ils ont fait l’amalgame entre César et des passages repris de Videl par Couillard. Autrement dit, ils se sont servi d’un travail de seconde main, ne comportant aucune référence bibliographique précise. Mais on nous demandera : pourquoi Couillard emprunta-t-il, pour commencer, à Videl ?  Mettons –nous à la place d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon les Lorriz en Gastinois. Il s’est mis en tête de rédiger des Prophéties pour se moquer de ces » nouveaux  prophètes » que sont en fait les astrologues, à ses yeux, ce qui est confirmé dans les Contredits. Couillard va puiser dans Videl pour nourrir sa prose, du moins si l’on admet qu’il ait pu exister une édition antérieure de la dite Déclaration, parue en 1558, ce qui n’a rien ‘inconcevable au regard des textes qui y sont cités, ce qui indique chez Videl un intérêt pour la production de Nostradamus bien antérieur à 1557. Cette façon de récupérer, de  recycler des textes est alors tout à fait coutumière et en ce qui concerne la genèse des quatrains, on ne compte plus les emprunts plus ou moins massifs à tel ou tel corpus. Certes, Videl aura-t-il pour cette nouvelle édition – peut être recourant à un nouveau titre - pris connaissance de la production de Nostradamus pour 1557, parue dans le cours de l’année de sa nouvelle épitre, mais cela vient, selon nous, s’ajouter à une précédente mouture se référant notamment à une pronostication pour 1552, à un almanach pour 1553 et à une publication pour 1555 - Videl  se référe même à une publication pour 1556- et c’est cette édition dont Couillard aurait pris connaissance au cours de l’année 1555 pour ses Prophéties parues  en 1556 . A la lecture de la Déclaration de Videl, on peut se demander si cette pièce n’a pas été elle-même composée d’autres pièces. Il y a ainsi une anomalie, à un moment, on lit « de la dite pronostication pour 1552 » alors que celle-ci n’avait pas été mentionnée précédemment. Par ailleurs, on retrouve des similitudes entre la Déclaration et le Monstre d’abus de La Daguenière, du fait que dans les deux cas on y ironise sur la production extra-astrologique de Nostradamus, c'est-à-dire ses recettes sur les fardements, sur cet astrologue « pasticier », la première édition devant dater de 1552. Or,  dans la Déclaration, on  se réfère à un texte paru « dernièrement », ce qui pourrait renvoyer à la première édition et donc   se situer autour de cette date, ce qui signifierait une mise à jour ultérieure ou  une compilation de divers texttes. Rappelons que la page de titre du Monstre d’abus est fabriquée de toutes pièces à partir de certains passages de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, comme le seront certains quatrains du second volet des Centuries, ce qui peut laisser entendre que certaines recettes ont pu être reprises, ce qui ne serait guère étonnant vu que la libraire parisienne  Barbe Regnault  a publié en1558 le dit  Monstre d’Abus avant de s’engager dans la parution de faux almanachs de Nostradamus, dès le début des années 1560...
Enfin  faut-il rappeler que ces divers pamphlets dont les derniers datent de 1558, hormis celui de Couillard qui est de 1560, ne mentionnent aucunement les quatrains des Centuries alors que toute la production nostradamique est passée au crible. Il y est bien question de séries de quatrains – le mot quatrain n’est pas prononcé mais  l’on parle de « vers logez de quatre en quatre sur le commencement de chaque mois »  (Le Monstre d’abus  de La Daguenière).  Autrement, le quatrain ne serait qu’une entité artificielle regroupant quatre vers tout commes les centuries pour les quatrains. C’est ce que confirmera le Janus Gallicus qui relie un même quatrain à des événements différents.
Etrangement,  on lui reproche à la  fois d’oser s’adresser aux princes pour leur annoncer leur destin  et à la fois  d’être incompréhensible au point que ce soit le lecteur qui doive « deviner » de quoi il est question. Tout laisse indiquer, en tout cas, que Nostradamus produisait du signifiant et qu’il laissait à d’autres le soin d’en tirer quelque signifié, ce qui au départ impliquait une tradition orale, un processus passant par la rumeur et dont nous n’avons guère de traces conservées.
Le paradoxe, c’est que, comme nous l’avons montré ailleurs, une grande partie des reproches ainsi proférés ne concerne pas directement  Nostradamus mais son « atelier ». En effet, il devait  guère accorder d’ importance aux quatrains de ses almanachs et par ailleurs, comme le montre la comparaison entre le Recueil des Présages Prosaïques et les publications réellement parues conservées, il laissait les détails techniques à des assistants tant et si bien qu’une grande partie de ce qu’on lui attribue, centuries comprises évidemment, n’est pas de lui mais de ceux qui l’entouraient ou lui succédèrent. Dans le cas de la Préface à César, il est probable, on l’a dit, que son contenu pouvait lui être attribué mais non pas la dédicace, ni l’année, ni la présentation exacte du texte.. Cela nous fait penser au Centiloque attribué à Ptolémée et qui est certes un faux mais très largement repris de la Tétrabible du dit Ptolémée. (cf notre postface au Commentaire du Centiloque de Nicolas Bourdin, Ed. La Grande Conjonction-Trédaniel, 1992)
Il reste que l’on commettrait une  grave erreur en ne nous appuyant que sur les pièces conservées pour établir une chronologie (cf nos  récents travaux sur le Splendor Solis). Nous pensons que Couillard a travaillé de seconde main et qu’il a dépendu de certains relevés dus à des détracteurs de Nostradamus. La qualité de l’information d’un Videl est très largement supérieure à celle d’un Couillard qui, si l’on se fiait aux seules pièces disponibles – erreur de perspective commise par certains chercheurs -  aurait été le premier à s’en prendre à Nostradamus, en 1556. Tout indique, au contraire, que Nostradamus était « suivi » et scruté depuis déjà quelques années quand Couillard s’est interessé au cas Nostradamus et d’ailleurs si certaines pièces furent conservées – hormis le cas du Recueil des Présages Prosaïques évidemment - cela pourrait l’avoir été par ceux qui entendaient s’en prendre à lui, non sans un certain acharnement comme dans le cas de Videl qui aurait ainsi passé en revue les publications allant de 1552 à 1558 (qu’il évoque incidemment) soit sur sept années. Nous ne pensons pas qu’il ait attendu 1558 pour publier ses observations.

JHB
21. 06. 12

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